«Quand le douanier, à Bardonnex (GE), a murmuré à l’oreille de son collègue, j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’anormal. Ils m’ont fait descendre de mon véhicule et je suis resté près de huit heures en garde à vue!» Si Aleksandar Cokic a passé bien plus qu’un sale quart d’heure, le 22 avril, c’est parce que les agents ont découvert, en vérifiant la carte grise de sa BMW 320 Ci, qu’elle avait été déclarée volée dans le canton de Berne en 2011!
Pour ce jeune éducateur de 25 ans, c’est le coup d’assommoir: «Je l’ai achetée d’occasion à un particulier en Valais en 2012 et j’ai roulé avec elle sans problème pendant plusieurs années. Comment se fait-il qu’on ne m’ait rien dit lorsque je l’ai immatriculée et expertisée à Genève si elle était volée?» En effet, la carte grise atteste que le véhicule a été immatriculé le 29 février 2012 et a subi deux contrôles techniques: l’un à Genève, le 8 janvier 2015, et l’autre, le 16 février 2012, en
Valais. C’est dans ce dernier canton qu’elle a aussi été immatriculée en 2011, à la même période que la déclaration de vol.
Tandis que le dossier est transmis au Ministère public genevois pour enquête, notre lecteur se retrouve soupçonné de recel et privé de son moyen de locomotion qui est emmené à la fourrière. Il est aussi lâché par sa protection juridique, sous prétexte que le début du sinistre, à savoir le vol, est antérieur à la signature du contrat en 2014.
Des couacs à répétition
Après sept semaines sans nouvelles, Aleksandar Cokic finit par recevoir un courrier. «Après investigations, il s’avère que le propriétaire du véhicule avait pu le récupérer à la suite du vol», explique le Ministère public. Et de conclure qu’aucune infraction pénale ne saurait donc être reprochée à l’infortuné Genevois. Mais alors, pourquoi a-t-il donc été interpellé au poste frontière de Bardonnex?
En fait, les douaniers ont consulté le système de recherche de police RIPOL, où la voiture était encore annoncée comme volée à fin avril 2016. Selon les explications que nous a fournies le Ministère public, le problème viendrait de la police bernoise qui a omis de révoquer le signalement du vol lorsque l’ancien propriétaire a récupéré son bien.
Cela amène une autre question: si le véhicule était encore déclaré volé récemment, comment se fait-il que les Services d’immatriculation n’en ont pas tenu compte en 2011 et 2012? Ils n’ont certes pas accès à RIPOL, mais les signalements de vols sont censés être automatiquement transmis à leur propre registre MOFIS. Cette communication se fait sous la forme simplifiée d’un «P» indiquant, sans en préciser la nature, un problème de police.
Explication alambiquée
Si le Service de la circulation routière et de la navigation du Valais n’en a pas tenu compte, c’est, selon son chef Pierre-Joseph Udry, parce que la BMW aurait été immatriculé le 31 janvier 2011, alors que l’annonce RIPOL serait intervenue le 1er février 2011, à 11 h 04. Une explication étrange, puisque le Ministère public genevois et Fedpol – responsable du RIPOL – nous ont affirmé que l’annonce avait été faite le 31 janvier. Et, quoi qu’il en soit, le véhicule a tout de même été expertisé sans souci une année plus tard dans ce canton!
A Genève, la direction générale des véhicules se défend en affirmant que les cas signalés à RIPOL ne sont «devenus bloquants» dans leur système informatique qu’à fin mars 2012 alors que la BMW a été immatriculée le 29 février 2012. Admettons. Mais alors comment-a-t-elle a pu être expertisée en 2015? L’hypothèse avancée par la direction des véhicules est pour le moins alambiquée: la déclaration de vol aurait été «momentanément supprimée de MOFIS». Au final, ces propos ne résolvent rien et laissent songeur quant aux opportunités laissées jadis aux voleurs d’immatriculer des véhicules dans le canton de Genève.
Lavé de tout soupçon, Aleksandar Cokic n’a pas dû s’acquitter des frais de fourrière lorqu’il a récupéré sa voiture. Le jeune homme va toutefois demander que les frais de l’avocate qu’il a consultée lui soient remboursés. Il renonce, par contre, à toute prétention concernant le scooter qu’il a dû acheter entre-temps pour se déplacer.
Sébastien Sautebin
En pratique
Précautions à l’achat
Selon Pierre-Olivier Gaudard, chef de la Division prévention de la criminalité du canton de Vaud, les voitures volées en Suisse prennent le plus souvent la direction d’autres pays ou sont utilisées pour commettre des délits. Néanmoins, quelques précautions permettent de réduire notablement le risque d’acquérir, auprès d’un particulier, un véhicule dérobé, ou de se faire arnaquer.
⇨ S’adresser au Service des véhicules du canton émetteur ou de votre domicile pour vérifier que la carte grise est en ordre. Cette requête adressera aussi un signal clair au vendeur.
⇨ Etablir un contrat précis (km, etc.)
⇨ Ne pas verser d’acompte.
⇨ Exiger du vendeur ses coordonnées complètes.
⇨ Demander l’historique du véhicule et son carnet de service.
⇨ Il doit y avoir deux jeux de clés. Eclaircir la situation si ce n’est pas le cas.