Karl Schefer, le directeur de Delinat, un commerce spécialisé dans les vins bio, est tombé des nues en apprenant que le Comité directeur de Bio Suisse se positionnait contre l’initiative pour une eau potable propre. Donc contre une initiative qui s’attaque aux pesticides dans l’agriculture. Dans une lettre au comité directeur envoyée au début de février, il écrit: «Nous partons de l’idée qu’il ne peut s’agir que d’une fausse information.»
Et pourtant, l’information est bien correcte. Le directeur de Bio Suisse, Urs Brändli, le confirme dans sa réponse avec une explication qui ne manque pas de surprendre: «Si l’initiative est acceptée, il faut partir du principe que la grande majorité des exploitations herbagères se convertiraient au bio. Une surabondance massive de l’offre en lait et en viande bio mettrait en danger la structure équitable des prix actuelle.» En clair: si tous les paysans produisent bio, les prix vont baisser.
Il est vrai que les consommateurs suisses paient le prix fort. Nous avions montré dans une enquête de 2019 que les produits labélisés biologiques sont en moyenne deux fois et demi plus coûteux que les conventionnels chez Coop (lire «Le bio coûte toujours plus cher»). Certains clients, qui aimeraient pourtant bien consommer du bio, finissent ainsi par acheter des produits conventionnels.
Coop parmi les opposants
Nous avons aussi critiqué les marges des grands distributeurs (lire «Viande bio: les marges indécentes de Coop et Migros»). Plus de deux tiers des produits bio sont vendus dans leurs magasins et ils profitent de la volonté des clients de payer plus pour manger sain. C’est ce qu’un rapport de l’Office fédéral de l’agriculture avait conclu en 2014 déjà.
Dans ce contexte, pas étonnant que Coop fasse également partie des opposants à l’initiative. En effet 42% des produits portant le bourgeon helvétique sont vendus aux caisses du grand distributeur. Ses frais de licence sont estimés entre cinq et sept millions de francs, soit le tiers du budget annuel de Bio Suisse.
Coop est prête à tout pour maintenir sa position. L’an dernier, des médias ont révélé qu’elle avait empêché la remise du bourgeon à Aldi et à Lidl. Alors, est-elle aussi intervenue au sujet de l’initiative? Les deux parties démentent.
Le président de BioSuisse s’explique: «Nous souhaitons absolument une Suisse bio, mais cela ne peut fonctionner que si la consommation suit.»
Et cela pourrait bien advenir: si les prix des produits issus de l’agriculture biologique étaient ne serait-ce que 10% moins chers, les consommateurs en achèteraient nettement plus. Soit 27% de plus de viande de bœuf et 32% de plus de porc, selon une étude réalisée l’an dernier par l’Institut Agroscope sur mandat de la Protection suisse des animaux.
Mot d’ordre le 14 avril
Que Bio Suisse ait peur de perdre le privilège de ses prix élevés est choquant, estime Karl Schefer de Delinat. «Cela trahit l’idée d’origine de l’organisation.» Paysan bio à Grossaffoltern (BE), Markus Bucher critique, lui aussi, vertement la position de son Comité directeur. Obtenir des prix les plus hauts possibles ne peut pas être le but ultime. «Nous ne pouvons pas continuer à détruire la base de notre existence.»
Reste que la question de soutenir ou non l’initiative «pour une eau potable propre» divise aussi la base de Bio Suisse. Les délégués auront le dernier mot lors de leur assemblée du 14 avril. En novembre dernier, ils avaient voté le soutien à l’initiative «pour une Suisse libre de pesticides de synthèse».
Daniel Mennig / sp
Ce que demande l’initiative «pour une eau potable propre»
L’initiative pour une eau potable propre, soumise au vote le 13 juin prochain, demande que les subventions allouées à l’agriculture ne soient versées qu’aux exploitations n’utilisant pas de pesticides ni d’antibiotiques et n’élevant que le nombre de bêtes qu’il leur est possible de nourrir sans avoir recours à des importations de fourrage. Le Comité d’initiative argumente que l’eau et les aliments sans pesticides, nitrates ou autres substances toxiques deviendraient accessibles pour toute la population.