«L’interdiction du bisphénol A (BPA) dans les biberons a été prise dans le cadre d’une harmonisation de notre législation avec la réglementation européenne», explique Eva van Beek, porte-parole de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). La nouvelle est rassurante pour les parents et bénéfique pour les bébés du pays.
Pourtant, la Confédération ne l’interdit pas par conviction, mais parce qu’elle y est contrainte. La pression internationale a eu raison des résistances et de l’immobilisme helvétiques dans le dossier du bisphénol A.
Interdite dans les biberons depuis quelques années et dans plusieurs pays (voir tableau), cette substance n’a jamais été remise en question en Suisse. Jugée comme sûre par la Confédération, elle continue d’être utilisée dans les contenants alimentaires et continuera de l’être! Cette interdiction est donc strictement limitée aux biberons, comme le confirme Eva van Beek: «Le BPA n’est absolument pas interdit, mais seulement réglementé. Seule son utilisation dans la fabrication de biberons en polycarbonate est interdite. La valeur limite de migration a aussi été ajusté.» (Voir tableau.)
Autorités sceptiques
La Suisse s’aligne donc sur la réglementation européenne, mais n’a pas changé d’avis sur la dangerosité de la substance, comme l’explique Daniel Dauwalder, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP): «Nous sommes d’avis que le principe de précaution poussé à son extrême n’est guère bénéfique dans ce cas, puisque, comme nous l’avons démontré, des substances beaucoup moins connues sont utilisées en remplacement du BPA. Il faut, par ailleurs, noter que les nombreuses évaluations scientifiques de cette substance ont conclu qu’elle ne présente pas de danger, et donc ne justifient pas une interdiction globale du bisphénol A.»
Application tardive
La substance sera ainsi interdite dans les biberons, mais seulement lorsque «le Conseil fédéral aura décidé quand la nouvelle législation entrera en vigueur», précise Eva van Beek. Cette décision devrait tomber durant le deuxième semestre de 2016. Il faudra ensuite compter sur une période transitoire d’un an. L’interdiction sera alors effective au plus tôt en 2018. Soit, au mieux, huit ans après le Canada!
A l’heure actuelle, le seul moyen d’éviter les bisphénols, c’est de supprimer les emballages en plastique de son quotidien (lire encadré).
Pour aller plus loin: «Poisons quotidiens», un guide pratique édité par Bon à Savoir.
Annick Chevillot
Eclairage
Un bisphénol peut en cacher un autre
Dans les pays voisins, et en Suisse lorsque la législation aura été adoptée (lire ci-contre), la mention «BPA free» sur les emballages ne signifie pas que le produit ne contient pas de bisphénol. La substance de remplacement, le plus souvent du bisphénol F, est moins étudiée, et donc moins connue que la version A. Elle représente ainsi un danger potentiel supérieur (lire «Si la moutarde vous monte au nez, pas de danger!», BàS 7-8/2015).
De plus, tous les bisphénols continuent d’être évalués selon le critère de base de la toxicologie: c’est leur quantité qui en fait des poisons. Or, c’est oublier un peu vite que les bisphénols A et F, notamment, sont des perturbateurs endocriniens (PE). De nombreuses études scientifiques démontrent les actions de ces substances sur l’organisme à très faibles doses déjà.
La véritable réponse face aux perturbateurs endocriniens n’est pas la limitation des expositions, mais bien leur suppression. Une réalité que les différents services de santé publique peinent à appréhender. Les PE ont des effets plus importants à petites doses qu’à hautes doses. En cela, ils bouleversent les fondements même de la toxicologie moderne.
Pour sortir de cet engrenage, il est indispensable qu’une définition claire des PE soit émise, ce que la Commission européenne tarde à faire, afin qu’une réglementation cohérente puisse être établie.