Le 21 janvier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a édité un rapport stupéfiant: «La réévaluation complète de l’exposition au bisphénol A (BPA) et de sa toxicité a permis de conclure que, aux niveaux actuels d’exposition, il ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs de tous les groupes d’âges (y compris les enfants à naître, les nourrissons et les adolescents).»
D’un coup de baguette magique, l’agence européenne basée à Parme blanchit le BPA. Au passage, elle divise tout de même par douze le seuil de sécurité pour l’exposition humaine, qui passerait ainsi de 50 à 4 microgrammes par kilogramme de poids corporel par jour, si la Commission et le Parlement européens adoptent cette réévaluation.
Toxicité avérée
Pourtant, la toxicité de cette substance est avérée par une multitude d’études (lire encadré). Elle est interdite dans de nombreux contenants alimentaires (biberons, notamment) dans l’Union européenne et au Canada par exemple, et fait partie de la famille des perturbateurs endocriniens.
André Cicolella, chimiste, toxicologue et président du Réseau environnement santé, qui est à l’origine de l’interdiction du BPA dans les contenants alimentaires en France, est formel: «L’EFSA arrive à cette conclusion en écartant le millier d’études qui montrent la toxicité du BPA, notamment aux faibles doses, qui sont celles auxquelles la population humaine est exposée.» Et de poursuivre: «Elle préfère s’appuyer sur deux anciennes études réalisées par une chercheuse travaillant pour l’industrie chimique et n’ayant testé que des fortes doses. Bref, en matière de toxicologie, l’EFSA en est encore à soutenir que la terre est plate…»
Conflits d’intérêts
Le jour de cette annonce, Ségolène Royal, ministre française de l’Ecologie, se disait «très surprise par cet avis, curieusement lancé au moment où l’interdiction du BPA est entrée en application en France». La ministre soulignait qu’elle allait faire «expertiser cet avis, pour voir si le poids des lobbys n’est pas intervenu dans sa publication». Une manière polie d’évoquer des conflits d’intérêts au sein de l’EFSA qui – rappelons-le – était déjà au cœur d’une polémique similaire en 2010. Pour André Cicolella, on «n’est pas face à une question d’incertitude scientifique, mais à du lobbying le plus grossier, sous couvert de débat scientifique. Cette carence de l’EFSA est gravissime et nécessite une action de la Commission européenne et des gouvernements pour que l’expertise au sein de cette agence respecte les règles de la déontologie scientifique.»
Réaction simultanée
De son côté, l’Association européenne de l’industrie plastique s’est dite satisfaite de la décision de l’EFSA et estime que «les mesures d’interdiction portant sur le BPA en France sont excessives et devraient être levées». Le communiqué de presse de cette institution faîtière a également été publié le 21 janvier. Une simultanéité qui ne peut que susciter le doute quant à l’objectivité d’un tel rapport.
La Suisse attend
En Suisse, c’est l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) qui est compétente en la matière. Et elle reste de marbre sur la question:
«Si cette restriction plus sévère au niveau de la migration du BPA vers l’aliment est validée par l’Europe, la Suisse en fera autant. Il faudrait alors compter au minimum deux ans pour que l’ordonnance soit révisée et soit applicable», annonce la porte-parole Eva van Beek. En clair, cela veut dire que la Confédération continue d’autoriser le BPA dans tous les contenants alimentaires, biberons compris.
Qui faut-il protéger?
Le bras de fer engagé entre la France et l’EFSA n’est pas récent et se base sur un principe simple: celui de la précaution. En interdisant cette substance, on protège la population. En l’autorisant, on protège la substance et les entreprises productrices. Le risque sanitaire, lui, est pris par les consommateurs et les Etats. L’EFSA a donc clairement choisi son camp et trahi sa mission.
Annick Chevillot
BON À LIRE
Le bisphénol A, c’est…
Découverte en 1891, le BPA est une substance chimique de synthèse qui a été étudiée dans les années 1930 lors de recherches d’œstrogènes de synthèse. Il n’a cependant jamais été utilisé en tant qu’hormone de synthèse.
Trente ans plus tard, l’industrie plastique s’en saisit et l’emploie massivement. Il entre alors dans la composition de polymères, utilisés dans de très nombreux plastiques: du casque de moto au bouclier de police, en passant par les biberons, les contenants alimentaires, les canettes, les boîtes de conserve, etc.
Cette substance, qui migre dans les aliments avec lesquels elle est en contact, est classée comme reprotoxique et fait partie de la famille des perturbateurs endocriniens.
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