Dans l’idéal, les salles d’attente des établissements médicaux devraient proposer de la documentation objective et de qualité, qui n’induit pas les patients en erreur. Or, l’enquête menée avec nos confrères de l’émission On en parle (RTS – La Première) montre que en réalité, elles fourmillent surtout de brochures en tout genre et servent de lieux propices pour les publicitaires.
Documentation à bannir
Nous avons visité sept grands hôpitaux et trois centres privés en Suisse romande et recueilli, au total, 506 brochures (lire encadré) (voir graphique 1).
Dans l’ensemble, notre enquête révèle que 6% de la documentation est, en réalité, de la publicité pour des produits médicaux (graphique 2). A titre d’exemple, nous avons trouvé, au Service de dermatologie du CHUV, une brochure, à première vue officielle, traitant de la dermatite atopique. Elle présente la maladie, les traitements et offre des conseils aux parents pour, finalement, déboucher sur six pages faisant l’apologie d’une marque de soins (crème, gels, baumes, etc.) lesquels agissent sur ce type de problèmes de peau. Pour Jean-François Steiert, vice-président de la Fédération suisse des patients, de tels dépliants ne devraient pas se trouver dans les salles d’attente.
Pire encore à ses yeux, les informations qui paraissent objectives et qui, en réalité, ne le sont pas, comme les articles soi-disant scientifiques et présentés par des pseudo spécialistes. Un fascicule disponible au Service de pédiatrie de l’Hôpital de Fribourg en est un bel exemple. Sur les pages de gauche, des explications à première vue neutres sur des problèmes de santé et, sur les pages de droite, des publicités pour des produits censés les soigner!
Sur ce point, Neuchâtel est clairement le plus mauvais élève de notre classement des hôpitaux publics avec une proportion de 22% de publicité pour des produits médicaux (voir graphique 3). Mais, pour Muriel Desaulles, secrétaire générale de l’établissement, la priorité reste l’accueil du patient et sa prise en soin. Après Neuchâtel se place Fribourg (9%), suivi par Vaud (7%), Jura (4%), Berne (2%), Valais et Genève (0%). Et, du côté des centres médicaux privés, les résultats sont globalement les mêmes avec 8% à Cité générations, 6% à Vidy-Med et 0% au CMB.
Du non-médical en masse
L’autre constat frappant, c’est que la grande majorité de la documentation récoltée n’a absolument rien à voir avec le monde de la médecine: 51% sont des annonces en tout genre sans intérêt commercial (Croix-Rouge, etc.) et 25% de la publicité diverse (assurances, etc.). Mais, pour Jean-François Steiert, cela ne pose pas de véritables problèmes, vu l’absence de lien avec le domaine thérapeutique.
En revanche, il regrette le manque d’informations issues d’institutions neutres (Office fédérale de la santé publique, offices cantonaux, etc.) et, notamment, sur les droits de base des patients.
Globalement, nous n’avons récolté que 18% de brochures d’informations médicales. Et encore: parmi ces 18%, près de la moitié d’entre elles sont des dépliants financés par des privés, donc «sponsorisés». Pour le spécialiste, une information subventionnée, même si elle est utile et neutre, doit absolument être cautionnée par une personne désignée. Car il est évident que le patient est influencé par ce qu’il lit.
Contrôle et filtre
Au vu de la variété et de la multiplicité des brochures traitant de tout et de rien, la question est bien là: existe-t-il un filtre? Benoît Roethlisberger, président de la Commission de déontologie de la Société vaudoise de médecine se permet d’en douter. Après avoir examiné la documentation recueillie, une évidence saute aux yeux: en matière de contrôle, la politique diffère fortement selon les institutions.
Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) font figure de modèle: nous n’y avons trouvé que quatre dépliants et tous étaient en lien avec l’établissement (voir graphique 3). Rien d’étonnant, puisque toute documentation est contrôlée et validée par le Service de la communication aux patients et usagers et par le groupe d’information aux patients et aux proches.
Dans le Jura, Olivier Guerdat, responsable de la communication de l’Hôpital de Delémont, avoue que, pour le moment, aucun processus de validation n’existe. Tout comme au CHUV et à Fribourg d’ailleurs…
Mais tous sont d’avis qu’un effort doit être entrepris. Et certains ont la volonté d’y remédier. Delémont souhaite instaurer des directives claires, le CHUV cherche à mettre en place une coordination centrale et Fribourg veut établir une procédure de contrôle, pour éviter le dépôt libre de matériel provenant de l’extérieur.
Marie Tschumi
Pour télécharger les graphiques comparatifs, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
DANS LE DÉTAIL
Démarche et classement
Pour mener à bien notre enquête, nous nous sommes rendus dans les hôpitaux publics des chefs-lieux de Suisse romande, soit à Genève (HUG), Lausanne (CHUV), Sion, Fribourg, Neuchâtel et Delémont, mais également à Bienne, pour la partie francophone du canton de Berne. Nous avons récolté toute la documentation disponible dans les salles d’attente des urgences ainsi que dans les Services de pédiatrie, de gynécologie et de dermatologie, quand ils existaient.
Nous avons aussi visité trois centres médicaux privés à Bienne (CMB), à Lausanne (Vidy-Med) et à Genève (Cité générations). A chaque fois, nous avons pris un exemplaire de chaque documentation mise à disposition, tout département confondu.
Nous avons ensuite classé les dépliants dans cinq catégories différentes:
Information médicale institutionnelle
(ex: une documentation de l’Office fédéral de la santé publique sur le don d’organes).
Information médicale sponsorisée
(ex: un dépliant sur le psoriasis financé par un pharma).
Publicité pour un produit médical
(ex: une brochure sur un contraceptif en particulier).
Publicité diverse
(ex: une garderie privée ou une assurance).
Annonces non commerciales
(une association à but non lucratif, des informations de la Croix-Rouge suisse ou sur l’hôpital en question, etc.).
Enfin, nous les avons soumis à l’œil critique de trois experts (voir photos ci-dessus de gauche à droite): Jean-Pierre Keller, médecin généraliste, Benoît Roethlisberger, président de la Commission de déontologie de la Société vaudoise de médecine, et Jean-François Steiert, vice-président de la Fédération suisse des patients.