Dès les premières secondes, nous voici champions du monde! Giorgio Tuti, président du SEV, le Syndicat du personnel des transports, le précise d’emblée: «Lorsque je discute avec mes collègues européens, ils ne cessent de vanter la qualité de notre réseau ferroviaire.»
Cette subjectivité de propos est confortée par une double étude du Boston Consulting Group (BCG), datant de 2012 et de 2015: parmi les 25 pays analysés, la Suisse figure deux fois en tête de liste parmi «les bons élèves», devant la France, la Suède ou l’Allemagne. Mais, lorsque qu’on se penche avec plus d’attention sur l’étude, certains éléments paraissent étonnants. Ainsi, BCG attribue, dans son rapport de 2015, un bon point à la SNCF «pour sa ponctualité». Or, aux derniers relevés, les retards cumulés du réseau ferroviaire français atteignent de 550 à 600 jours sur un an!
Du coup, le doute s’installe. Qui paie des études comme celle de BCG? Approchées, la société ainsi qu’Agnès Audier, l’une des rédactrices du rapport, ne nous ont pas répondu. La Suisse est-elle au-dessus de tous soupçons ferroviaires? Selon l’angle d’approche, la vision devient plus nuancée.
La ponctualité
La ponctualité est ainsi un des arguments favoris des CFF, qui disent ne plus remplir leur mission lorsque les convois dépassent l’horaire indiqué de trois minutes. En appliquant «les normes les plus strictes d’Europe», ils arrivent à une ponctualité pour leurs passagers de 97,1% (2015) ou 96,8% (2014). Des chiffres qui, sur le terrain, laissent les usagers perplexes… Et de toute façon, les ÖBB autrichiens annoncent une ponctualité de 96,7% et la DB allemande de 94,5%. L’avance des CFF tient donc dans un mouchoir de poche... Par ailleurs, il existe une compagnie qui relègue nos horloges occidentales au rang de cancres: Japan Rails, qui concède un retard moyen de 0,1 minute, soit 6 secondes. Et cela même lors du séisme de 2014, puisque les trains japonais n’ont alors connu aucune perturbation d’horaire!
Les tarifs
La Litra (Service d’information pour les transports publics) aime régulièrement rappeler que, certes, les tarifs des trains suisses sont plus chers qu’à l’étranger, mais pas tant que ça… La comparaison n’est pas facile, avec la France notamment, les observateurs qualifiant volontiers les tarifs de la SNCF d’«obscurantisme exacerbé» avec sa dizaine de prix différents pour un même siège. Il n’empêche: un billet pour aller de Paris à Nancy, soit 315 kilomètres, peut revenir dans les 61 fr. (2e classe). Chez nous, pour aller de Lausanne à Saint-Gall (307 km), un aller-simple, 2e classe, sans réduction, atteint les 90 fr. C’est 50% de plus, même si les CFF «dégriffent» en dehors des heures de pointe.
Les réservations
Au Japon, une place peut se réserver six mois à l’avance. La procédure est assez simple, les trains partent toujours au même horaire et depuis un quai identique. En Suisse, les Online Tickets se prennent 30 jours en amont. Pas plus, pas moins. Ce délai de prévente «vous offre une sécurité accrue de pouvoir effectivement effectuer votre voyage, sans avoir à le décaler», précisent les CFF.
Le remboursement
La Suisse offre entre 10 et 15 fr. après une heure de retard, «dans l’esprit d’un bon service clientèle» et «à bien plaire». En Allemagne, en Autriche et en Italie, les compagnies remboursent 25% du prix du billet pour une à deux heures de retard et 50% au-delà. La France va même jusqu’à 75% après trois heures de retard, sous forme de «cash ou de bon». Et une lettre, affranchie, «à renvoyer sous les 60 jours maximum» est distribuée aux voyageurs lésés dès la sortie du train.
Le confort
Lorsque les CFF mettent leurs meilleures voitures à disposition – ce qui n’est de loin pas toujours le cas – leur confort équivaut certes à celui des TGV. Mais, à nouveau, Japan Rails coiffe tout le monde. Le couloir central y est plus large de 8 centimètres. Et dans les wagons japonais, les sièges des passagers sont orientables et réversibles, il existe des espaces fumeurs ventilés, des cabines de maquillage, mais aussi de téléphone, histoire que les autres voyageurs ne profitent pas de vos conversations. Chez nous, encore faut-il pouvoir lancer des coups de fils. Pour lutter contre un réseau qui coupe sans cesse les conversations ou le surf sur internet, il était prévu que le Conseil fédéral paie la note d’amplification 3G sur 1700 wagons. Un projet prévu pour 2018, retardé à 2020. Et certains experts estiment que ce serait plutôt aux CFF de mettre la main au porte-monnaie. Lesquels répliquent que certains trains seront équipés déjà en 2016… évidemment sur le RER zurichois!
Joël Cerutti