Bientôt trente ans que cela dure et presque personne ne le sait: le fameux chocolat au lait suisse contient 20% de lait étranger. Hérésie des temps modernes? Allons donc! «Jusque dans les années 50, se souvient Dario Kuster, directeur de Chocosuisse, il pouvait légalement en contenir jusqu’à 50%. Puis, cette proportion a diminué à 33% dans les années 60 et a été définitivement fixée à 20% en 1969.» Mais la tendance pourrait prochainement s’inverser et le lait étranger retrouver la faveur des chocolatiers suisses.
En fait, le problème est simple: la poudre de lait fabriquée à partir du lait suisse coûte environ 8 fr./kg, alors qu’il est possible d’en importer à 3 fr./kg en provenance des pays européens voisins. Et si les chocolatiers suisses ont réduit l’utilisation de ce dernier dans leurs préparations, ce n’est pas par patriotisme, mais bien parce que la Confédération les y a contraints. C’est elle qui règle les quotas en la matière, afin de protéger la production nationale.
Pour bien comprendre, il faut rapidement se plonger dans les méandres du système des compensations. Comme les producteurs de chocolat suisse sont obligés d’utiliser au moins 80% de lait indigène en poudre vendu presque trois fois plus cher que celui de provenance européenne, la Confédération leur verse une compensation pour chaque exportation, afin qu’ils puissent vendre leurs produits à des prix compétitifs à l’étranger. Mais ces compensations sont plafonnées. Et ces plafonds sont réduits chaque année à cause de l’accord du GATT. Or, selon Dario Kuster, ils ne permettront plus aux chocolatiers de s’en sortir financièrement l’année prochaine déjà, mais surtout dès l’an 2000.
Epée de Damoclès
Pour ne rien arranger, la part des exportations de chocolat (plus de 50% de la production cette année) ne cesse d’augmenter, alors que la consommation suisse stagne, voire régresse. Autant dire que les chocolatiers ne feront pas preuve d’une grande patience. Ils en ont les moyens: l’article 17, al. 3, de la loi fédérale sur les douanes les autorise d’ores et déjà à augmenter l’importation du lait en poudre étranger, pour autant qu’il soit transformé en Suisse et utilisé pour la fabrication du chocolat qui sera ensuite réexporté. Et surtout que le lait ne soit pas disponible en Suisse à un prix «compétitif». Une véritable épée de Damoclès pour les producteurs de lait et pour les industries qui le transforment en poudre, priés de revoir sérieusement leurs prix à la baisse s’ils veulent éviter la concurrence étrangère.
Dario Kuster jure pourtant ses grands dieux que les chocolatiers veulent éviter la confrontation et se montre plutôt optimiste. Beat Stierli, gérant de l’Interprofession poudre de lait suisse, va dans le même sens, mais de façon plus nuancée: «Nous allons tout faire pour limiter des importations supplémentaires de lait en poudre étranger. Mais il sera difficile de les éviter totalement. Nous allons cependant trouver des ressources pour rendre nos produits plus accessibles, sans pour autant en diminuer les prix pour la totalité de la production.»
Un groupe de travail fédéral planche actuellement sur le sujet. Il devrait rendre sa copie d’ici à la fin de l’année. Le département de Pascal Couchepin fixera ensuite le juste mélange entre le lait en poudre indigène meilleur marché et le supplément de lait étranger. Comme quoi les recettes du légendaire chocolat suisse appartiennent aussi au monde politique!
Christian Chevrolet
faux débat
Le beurre de cacao reste roi
Il y a quelques années, le Conseil fédéral avait déclenché une belle polémique en décidant – contre l’avis des chocolatiers – que 5% du beurre de cacao utilisé dans la fabrication du chocolat suisse pourrait être remplacé par d’autres graisses végétales. Et cela bien avant l’Europe, qui n’a d’ailleurs toujours pas réussi à se mettre d’accord sur la question.
Qu’en est-il aujourd’hui en Suisse? Selon Dario Kuster, aucun chocolatier n’a utilisé cette possibilité. Le directeur de leur fédération l’explique par trois raisons.
• Il est certes possible d’utiliser 5% de graisses végétales, mais seulement au-delà des limites minimales. Un chocolat noir doit par exemple toujours contenir au moins 18% de beurre de cacao. Une préparation qui en contiendrait 20% pourrait donc contenir au plus 2% d’un substitut.
• A qualité égale, ces substituts ne sont pas beaucoup meilleur marché. L’huile de palme, souvent citée comme un remplaçant possible au beurre de cacao, donnerait un chocolat de moindre qualité.
• Sur le plan psychologique, il était impensable que la Suisse, réputée pour faire l’un des meilleurs chocolats au monde, procède à cette substitution avant l’Europe.
Mais tout n’est pas dit. Car même à prix égal, certaines graisses végétales ont un avantage sur le beurre de cacao: elles fondent moins vite. Une propriété intéressante pour l’été et l’exportation vers les pays chauds.