Hélène Rossier, enseignante près de Fribourg, est indignée: «Mon fils de 18 ans est devenu fumeur à l’adolescence, en achetant ses cigarettes à la pièce, sur le chemin de l’école en ville de Fribourg. Son argent de poche ne lui aurait pas permis de s’acheter des paquets entiers.»
Déjà que les parents soucieux de la santé de leurs enfants n’ont aucun secours à attendre de la loi, puisqu’elle n’interdit pas la vente aux moins de 18 ans, ni même aux moins de 16 ans. Et voilà que, en plus, le coût n’est pas un facteur dissuasif, puisque la vente au détail, parfaitement légale, permet de s’accoutumer à bon marché à l’herbe à Nicot.
Pour mesurer l’ampleur du problème, nous avons pris l’exemple de la ville de Fribourg. Sur quinze kiosques indépendants, quatre nous ont avoué écouler des cigarettes au détail: deux au prix de 30 ct. pièce, les deux autres à 25 ct. Les tenanciers concernés se disent soucieux de rendre service aux clients peu fortunés, étudiants ou non. Une pratique qui rapporte, puisqu’une cigarette ne coûte en fait pas plus de 24 ct. (si l’on se base sur un paquet à 4,80 fr.).
Sur les quatre kiosques fribourgeois repérés, trois se situent très nettement aux abords des écoles. Mais le phénomène dépasse largement les frontières de ce canton. A Genève, le CIPRET (Centre de prévention du tabagisme) s’inquiète de la vente de cigarettes à la pièce près des écoles, tandis que l’AT (Association suisse pour la prévention du tabagisme) signale le même problème à La Chaux-de-Fonds.
Prévention sabotée
L’interdiction de la vente au détail aux mineurs figurait dans une ancienne ordonnance, qui n’a pas été reprise par la législation sur le tabac entrée en vigueur en 1995. Les organismes de prévention le regrettent unanimement. «Cela va à l’encontre de nos efforts pour rendre le prix dissuasif», commente Verena El Fehri, présidente de l’AT. «C’est un moyen efficace pour créer une dépendance chez les jeunes», ajoute Jean-Char-les Rielle, responsable du CIPRET.
L’association faîtière de l’industrie du tabac, la CISC, tient à peu près le même discours, dans le souci de prévenir le tabagisme chez les moins de 18 ans. Mais elle ne partage pas le point de vue de l’administration sur la légalité de la vente au détail. «Cette pratique est contraire à la loi, affirme Yves Romanens, porte-parole de la CISC. Car le client ne reçoit pas les informations figurant sur l’emballage, à savoir les teneurs en nicotine et la mise en garde concernant la santé.»
La prévention s’organise
L’interdiction de la vente de cigarettes à la pièce fait l’objet d’un postulat qui a été accepté par le Conseil fédéral. Celui-ci devra par conséquent se prononcer sur la question. D’autres mesures de lutte contre le tabagisme sont en discussion à Berne, comme la hausse des prix et l’interdiction de vente aux mineurs. La hausse fait l’unanimité parmi les organismes de prévention, mais elle est contestée par l’administration fédérale des douanes, qui craint une augmentation de la contrebande.
L’interdiction de vente aux mineurs est en revanche très controversée. Pour certains, c’est une façon de rendre l’accès d’un produit toxique – le tabac – plus difficile aux jeunes, tandis que d’autres craignent l’effet «attrait du fruit défendu». L’AT propose pour sa part une voie médiane: proscrire la vente aux moins de 16 ans et limiter l’accès à la cigarette pour tous en réduisant les points de vente. Suzanne Pasquier