Je me sens mieux. J’ai récemment changé d’abonnement de téléphonie mobile. Rien d’extraordinaire, c’est vrai. D’autant que mon nouvel opérateur, je l’ai choisi pour des raisons de prix et de commodité. Mais voilà, je viens de découvrir que ma décision est, en plus, écoresponsable: je surfe désormais sur le «premier réseau climatiquement neutre de Suisse».
Au même titre que tous les clients de Swisscom, j’ai visiblement de bonnes raisons de me sentir mieux. Sans changer mes habitudes, sans débourser un centime de plus, je fais un geste pour la planète. C’est l’opérateur, le plus «durable au monde» (titre décerné en 2020 par le magazine World Finance), le mien en l’occurrence, qui l’affirme. Un opérateur qui exploite entièrement son réseau à partir d’énergies renouvelables. Un opérateur qui compense les émissions de CO2 provenant de la fabrication, du transport et de l’installation des composants de son réseau, mais aussi des routeurs, des box-tv et des smartphones. Bref, un opérateur «climatiquement neutre», comme le martèle sa dernière campagne de publicité.
A l’image de Swisscom, de plus en plus d’entreprises mettent en avant cet argument marketing. Mais afficher une neutralité carbone aujourd’hui, c’est un peu comme brandir sa neutralité au milieu d’une crise politique internationale. Ça revient à se carapater derrière un concept ambigu. La promesse d’une neutralité carbone constitue un puissant inhibiteur de culpabilité, car elle véhicule l’illusion que nous avons atteint un niveau d’émissions de CO2, si ce n’est proche de zéro, en tout cas suffisamment bas pour préserver l’environnement. Or, on est très loin du jeu à somme nulle. En échange de ce CO2 qu’elles continuent à émettre, même si c’est en moindre quantité, les entreprises qui s’autoproclament neutres investissent dans des projets de «compensation» carbone, comme protéger ou planter des arbres qui absorbent du CO2.
On peut considérer que ces crédits de compensation valent mieux que rien. Sauf que la réalité est souvent complexe et l’enfer pavé de bonnes intentions. Planter une essence à croissance rapide, par exemple, fait peser le risque d’un appauvrissement des sols, tandis que reboiser à grande échelle menace de faire grimper les prix des denrées alimentaires. L’organisation non gouvernementale OXFAM a même calculé que, pour que la planète soit neutre en carbone en 2050, il faudrait planter des arbres sur la totalité des terres cultivables…
Le climatiquement neutre est sans doute un argument vendeur. Mais il sert surtout à flatter le consommateur et à lui faire oublier que, contrairement à lui, le CO2 qu’il contribue à émettre aujourd’hui restera dans l’atmosphère pour les deux cents prochaines années.
Geneviève Comby