Derrière le sigle HPI peuvent se cacher des amis, des enfants ou des petits-enfants. Côtoyer au moins une personne douée dans son entourage proche ou plus lointain n’est pas rare. La plupart du temps, on ne s’en doute pas, tant les hauts potentiels ont cette tendance de caméléon à se fondre dans la masse, à s’adapter sans sortir du rang. Quitte à parfois mal le vivre intérieurement. Mais qu’a donc un HPI (haut potentiel intellectuel) de différent, au juste?
1. Etre HPI, c’est quoi?
Le cerveau d’une personne douée ne diverge pas fondamentalement des autres, mais fonctionne de façon plus rapide et efficace, explique Claudia Jankech, spécialiste en psychologie de l’enfant et de l’adolescent et psychothérapeute à Lausanne. Nombre d’études et d’analyses IRM ont montré que la mémoire de travail d’un HPI était deux fois plus élevée, le seuil d’activité du cerveau et la plasticité cérébrale plus importantes, le sommeil paradoxal plus long, les connexions entre les deux hémisphères plus efficientes.
Les capacités cognitives globales sont supérieures à la moyenne, ce qu’atteste en général un QI de 130 ou davantage. Selon les spécialistes, 128, 125 ou même 120 suffisent pour parler de haut potentiel. Ces chiffres sont des repères, note Claudia Jankech. Il existe en vérité un continuum de fonctionnements cognitifs où les informations circulent plus ou moins vite et efficacement. Une richesse, dit-elle (lire aussi «Des associations aident à valoriser le haut potentiel»), même si les HPI ont souvent ce sentiment déroutant «de ne pas avoir de bouton pour arrêter de penser».
2. Un revers à la médaille?
Il arrive que l’enfant à haut potentiel éprouve beaucoup de difficultés à s’ajuster et répondre aux attentes du monde extérieur. En comprenant qu’on le perçoit comme trop curieux, trop enthousiaste, posant trop de questions, il aura tendance à adopter un comportement qui ne correspondra pas à sa personnalité mais lui évitera d’être critiqué; ces stratégies adaptatives l’éloignent de ses besoins et motivations, affirme Sophie Prignon, fondatrice du cabinet Hi-Mind, composé d’une équipe multidisciplinaire spécialisée dans le soutien des enfants et adultes doués.
«Le haut potentiel intellectuel peut être source de souffrances s’il n’est pas accueilli de façon bienveillante par l’entourage. Dont l’école, si l’enfant est soumis à outrance à des dictats de standardisation, s’il est moqué pour son originalité ou s’il n’a pas le loisir d’épanouir sa curiosité», poursuit Sophie Prignon, elle-même à haut potentiel intellectuel. Avec des effets potentiellement graves: certains HPI développent un manque d’assurance, des dépressions, des troubles de l’attention ou du spectre autistique, constatent les experts. Un cinquième des personnes douées ont connu un redoublement scolaire.
3. Déceler un HPI
Mais comment savoir s’il est question de HPI et quelle est la meilleure façon de gérer ces difficultés? Un bilan psychologique mené par un spécialiste permet de déceler le haut potentiel. Attention, un test de QI passé sur un site Internet n’est pas suffisant. Un praticien ne peut pas non plus détecter de HPI après un simple entretien, aussi long soit-il. Effectué sur plusieurs heures et séances, estimé entre 500 et 1000 francs, le bilan tient compte d’aspects importants absents des tests de QI classiques: compréhension verbale, raisonnement perceptif, mémoire de travail et vitesse de traitement.
4. Pourquoi prendre les devants?
Les parents au courant du haut potentiel de leur enfant pourront mieux l’informer, le soutenir et répondre à ses besoins spécifiques, tout comme les enseignants, explique Claudia Jankech. En retour, on observe souvent un apaisement et une amélioration des résultats des élèves. Même si les spécialistes conseillent de consulter suffisamment tôt en cas de difficultés (lire aussi «Comment repérer les signes du HPI?»), il n’est jamais trop tard pour passer un bilan psychologique. Les adultes doués peuvent en retirer un grand bénéfice.
Valérie,* à Genève, n’a soupçonné son haut potentiel qu’à 35 ans. «J’ai toujours eu l’impression de ne pas être câblée comme tout le monde, sans savoir ce que c’était», raconte-t-elle. Plusieurs thérapies n’avaient pas donné grand-chose jusque-là. Après avoir lu un article sur le HPI, elle décide de passer un bilan psychologique chez un spécialiste, qui confirme un QI de plus de 130 et une suspicion de troubles de l’attention, ou TDAH. «Cela expliquait ma difficulté à effectuer des tâches pourtant à ma portée; mon sentiment de pouvoir faire, sans y arriver.»
Depuis, Valérie vit beaucoup mieux. Cette information lui a permis de mettre en place des stratégies dans la gestion de son quotidien et de ses relations avec les autres. Elle écoute moins «cette petite voix qui dit que je suis nulle ou stupide», se sent plus en confiance avec l’idée de ne pas être adaptée au fonctionnement de la majorité. Pour elle aussi, il est préférable que le bilan psychologique intervienne au plus tôt en cas de difficultés. Les adultes qui se devinent des capacités cognitives élevées et cherchent à aller mieux devraient y songer.
5. Besoin de réponses
Bien sûr, il y a le risque de se tromper et d’être déçu des résultats du test. Il n’est pas rare que des personnes consultent en pensant être à haut potentiel intellectuel alors qu’elles souffrent de troubles, relève
Sophie Prignon. La décision de passer un bilan psychologique devrait être prise avec le spécialiste. Il est crucial que soient identifiés les besoins de la personne concernée. Est-elle en mesure d’accueillir une réponse négative? Pourquoi cette démarche de test est-elle si importante?
Certaines situations de mal-être incitent à passer un bilan psychologique. Quand on a l’impression d’avoir été un enfant brillant et déterminé sans avoir épanoui son potentiel dans la vie d’adulte, ou quand on s’ennuie presque systématiquement en discutant avec les autres. Le bilan psychologique doit répondre à un besoin de décodage de son présent ou de son vécu. Il n’est en aucun cas destiné à satisfaire sa curiosité.
*Nom connu de la rédaction
Gilles D’Andrès
Comment repérer les signes du HPI?
Chez les enfants, certains traits et attitudes répétitives peuvent laisser supposer un haut potentiel intellectuel. Une curiosité tous azimuts qui se manifeste par des questions précoces sur la mort, l’univers, l’environnement ou les relations sociales, une tendance à être créatif, à être autodidacte, ou encore un apprentissage précoce de la lecture et de l’écriture peuvent mettre sur la voie.
Des indices qu’il faut prendre avec des pincettes: ils ne remplacent pas l’évaluation professionnelle. Leur mention peut aider un praticien dans son travail, voire motiver la décision d’en consulter un en cas de difficultés vécues au quotidien.
Logiquement, on retrouve aussi parmi ces signes extérieurs les aspects qui entrent en matière lors d’un bilan psychologique. Enfants comme adultes peuvent faire montre d’une très bonne mémoire, maîtrise du langage ou compréhension des concepts. A noter qu’il est parfois plus ardu pour des non-professionnels de repérer certains signes chez les femmes et les filles. A cause de préjugés hommes-femmes tenaces, d’aucuns les mettent sur le compte d’un prétendu raffinement ou d’une plus grande expressivité qui leur serait caractéristique.
Des associations aident à valoriser le haut potentiel
Le regard posé sur les personnes douées est souvent très négatif, regrette Claudia Jankech, spécialiste en psychologie de l’enfant et de l’adolescent et psychothérapeute à Lausanne. La maturité des enfants HPI déstabilise les adultes, qui prennent leur attitude pour de l’arrogance… alors qu’ils restent avant tout des enfants, avec leur besoin de reconnaissance et d’encouragement. Les parents des HPI sont aussi mal perçus et subissent les clichés; pourtant, ils poussent rarement leurs enfants et doivent plutôt s’efforcer de les suivre. Pour la psychothérapeute, il existe une «peur de l’intelligence et des têtes qui dépassent», comme une ambivalence sociale.
C’est ce qui vaut à de nombreux HPI de ne pas tirer profit de leurs capacités et de se réfugier dans des stratégies d’adaptation. Les aspects positifs du haut potentiel ne sont que trop peu évoqués, déplore Sophie Prignon, fondatrice du cabinet Hi-Mind. Alors qu’on associe souvent à tort capacités élevées et troubles psychologiques ou psychiatriques, il y a une sorte de pudeur et de gêne à mettre ces richesses en évidence. Des études ont pourtant montré que les QI élevés ont une meilleure espérance de vie, vieillissent moins vite et ont moins de risques de mourir de démence.
Plusieurs initiatives existent en Suisse pour offrir un soutien aux personnes douées et à leur entourage, mais aussi les mettre en lien et les orienter vers les aspects positifs du HPI. C’est le cas de l’Association suisse pour les enfants à haut potentiel (asehp.ch), qui représente 650 familles en Suisse romande et organise des rencontres avec les parents, des activités pour les enfants ainsi que de nombreuses conférences et congrès. L’Association suisse pour les adolescents et adultes surdoués (asaas.ch), qui compte entre 150 et 200 membres et est à la fois ouverte aux hauts potentiels et à toutes personnes qui les côtoient, organise des rencontres, sorties et conférences scientifiques sur le HPI, dans un but d’échange et de partage. Elle vise le développement prochain d’une plateforme permettant de collaborer autour de projets solidaires.