Avec l’émergence d’internet, au milieu des années 1990, le monde médical s’est progressivement intéressé au phénomène de «cyberaddiction». Les jeux vidéo, qui se pratiquent de plus en plus en ligne, sont régulièrement placés au cœur de la polémique. Le point avec Antonella Luongo, psychologue et intervenante socio-éducative auprès du Centre du jeu excessif (CJE), à Lausanne*.
1. L’addiction aux jeux vidéo existe-t-elle vraiment?
Cette question fait l’objet de nombreux débats parmi les spé cia lis tes. On parle d’addiction lorsque l’individu souffre des symptômes suivants: usage compulsif, irritabilité en cas de sevrage, perte de contrôle du comportement et non-prise en compte de conséquences négatives graves (chute des résultats scolaires, conflits familiaux, perte d’emploi, dettes, etc.). Toutefois, l’amateur de jeux vidéo présente rarement toutes les caractéristiques d’une conduite addictive. La classification internationale des maladies ne considère d’ailleurs pas l’addiction aux jeux vidéo comme diagnostic psychiatrique, contrairement à la toxicodépendance et au jeu pathologique (jeux de hasard et d’argent).
2. En quoi cette addiction se distingue-t-elle de la toxicodépendance et du jeu pathologique?
Toutes les conduites addictives présentent des symptômes similaires, mais les conséquences négatives – et notamment financières – de l’utilisation excessive des jeux vidéo sont moins lourdes. De plus, la durée de ce type de dépendance se limite généralement à un ou deux ans. Alors que le joueur pathologique et la personne toxicodépendante sont exposés de manière beaucoup plus prolongée.
3. Quel est le pourcentage d’usagers touchés par le problème de dépendance?
Les études existantes sont lacunaires et aboutissent à des taux extrêmement variables, de 0,9% à 58%, selon la population étudiée et la méthodologie utilisée. Addiction Info Suisse estime à 70 000 le nombre de personnes dites «cyberaddicts» en Suisse.
4. Quelles sont les conséquences d’une cyberaddiction?
Les conséquences négatives sont d’ordre tant biologique, psychologique que social: problèmes de vue et de posture, maux de tête, fatigue et sommeil perturbé, hygiène de vie négligée (alimentation), diminution des performances scolaires et/ou professionnelles, diminution des activités de loisirs et sédentarité, retrait social et perturbations de l’humeur.
Pratiqués raisonnablement, les jeux vidéo possèdent pourtant des vertus positives sur le développement des enfants et des adolescents. Ils leur permettent notamment de stimuler leurs capacités d’apprentissage et d’attention, de pouvoir gérer plusieurs tâches en même temps et de développer leur logique.
5. Certains types de jeux vidéo posent-ils davantage problème?
Les demandes de prise en charge concernent majoritairement les MMORPG (jeux de rôles massivement multijoueurs), dans lesquels chaque joueur incarne un personnage qu’il fait évoluer dans un univers persistant, en interaction avec des milliers d’autres joueurs. Le plus populaire d’entre eux, World of Warcraft, donne l’illusion d’un monde juste et solidaire, où les personnages ne meurent jamais et la régression n’est pas possible.
6. En quoi consiste la prise en charge du CJE?
Le CJE rassemble une équipe pluridisciplinaire: un psychiatre, un médecin responsable du centre, des psychologues, des assistants sociaux et des chargés de recherche. Leurs outils sont les mêmes que ceux utilisés dans le domaine des toxicodépendances: entretiens dits «motivationnels», suivi de couple/famille et soutien socio éducatif. Ils s’accompagnent gé néralement d’un travail de clarification avec l’entourage et de mesures limitant l’accès au jeu.
7. Comment prévenir l’excès?
Même si les parents ont de la peine à partager la fascination des jeunes pour ces nouveaux divertissements, il est important qu’ils s’y intéressent et les pratiquent avec eux. C’est un moyen efficace d’aborder les aspects sensibles qui leur sont liés. Il est difficile, par contre, de déterminer une durée maximale de jeu quotidien ou hebdomadaire. Tant qu’il n’y a pas mise en danger de la scolarité ou de la vie sociale de l’enfant, les limitations ne sont pas nécessaires.
Frank-Olivier Baechler
BONUS WEB: adresses des lieux d’aide par canton