La Dame de fer, une fille de l’air? Pas en politique. Mais avant d’être la femme d’Etat que l’on connaît, Margaret Thatcher a travaillé comme chimiste dans l’agroalimentaire. Et c’est son équipe qui aurait eu l’idée, à la fin des années 1940, d’ajouter de l’air dans la crème glacée pour lui donner du volume. Technique nommée «foisonnement» que l’industrie exploite encore pleinement aujourd’hui pour gonfler ses produits.
On nous vend du vent
Ce n’est donc pas un hasard si sept des treize glaces vanille que nous avons achetées ont une densité égale ou inférieure à 0,5. Ce qui signifie que leur poids n’excède pas 500 g par litre! Deux articles, la M-Budget de Migros et la Prix Garantie de Coop, s’approchent furieusement de la limite légale de 450 g/litre avec une densité d’environ 460 g/litre. L’une comme l’autre ont d’ailleurs été sévèrement critiquées lors de la dégustation à l’aveugle organisée en partenariat avec l’émission On en Parle (RTS – La Première). En particulier la M-Budget: «Elle n’a pas de goût, elle n’a vraiment rien. Je n’ai pas même envie de la manger», s’est exclamé Paolo Gervasi de L’Artisan Glacier à La Conversion (VD).
L’intérêt d’ajouter autant d’air aux glaces est avant tout économique, étant donné que les prix sont indiqués au litre et non au poids. Les enseignes, que nous avons interrogées à ce sujet, ne le voient évidemment pas sous cet angle. L’injection d’air profiterait à l’onctuosité des produits et faciliterait la formation de boules à la sortie du congélateur.
Ces arguments font sourire Paolo Gervasi qui souligne que l’onctuosité d’une crème glacée dépend de toute une série de paramètres: stabilisants naturels, mélange des sucres, etc. «C’est clair que l’air joue également un rôle et qu’on ne peut pas s’en passer totalement. Mais un taux de «foisonnement» entre 20% et 30% est amplement suffisant. Si l’industrie agroalimentaire fait grimper ce taux à 50%, c’est une question de rentabilité, puisque l’air ne coûte rien!»
Prix faussé par l’air
Sur les emballages, la très grande majorité des produits respecte les recommandations de l’Institut fédéral de métrologie en indiquant non seulement le volume (ml), mais également le poids. Seule exception parmi les treize bacs de notre sélection: la crème glacée de Denner. «La loi permet d’indiquer uniquement le volume, rétorque Grazia Grassi, porte-parole du distributeur. La déclaration sur l’emballage est donc correcte.» Tout en glissant que le packaging des glaces Denner va être prochainement revu et que l’indication du poids sera intégrée.
Ce qui est regrettable, c’est que les enseignes n’affichent pas le prix au kilo dans les étals, à l’exception de Manor. C’est une manière habile d’ignorer la grande quantité d’air qui gonfle les crèmes classées sans leur donner du poids. Pour les produits au «foisonnement» extrême comme la M-Budget, une indication du prix au poids plutôt qu’au kilo serait fatalement moins attractive: 3.04 fr./kg contre 1.40 fr./litre (voir tableau).
Mais où est la vanille?
La quantité d’air a fatalement un impact sur la saveur des glaces. En règle générale, plus le «foisonnement» est important, plus la masse est molle et fade. Nos spécialistes ont, du reste, régulièrement pointé du doigt le manque de goût des crèmes glacées. Et c’est avec de grands yeux incrédules qu’ils se sont posés la même question à maintes reprises: «Mais où est la vanille?» On cherche toujours… L’avarice des fabricants sur ce point n’est certainement pas étrangère à l’explosion du cours de la vanille (lire encadré).
«On a souvent eu l’impression de manger des glaces à la crème, mais le vrai parfum de la gousse n’y était pas», a résumé Graziella di Ferdinando, de l’Antica Gelateria Fiorentina, à Neuchâtel, à la fin de la dégustation. A l’image de la crème glacée bio de Migros, certains produits forcent sur le sucre pour masquer la pauvreté de leur saveur. «On ne ressent pas du tout la présence de vanille. Et, en fin de bouche, on a un goût surprenant de chocolat blanc qui n’a rien à voir avec ce qu’on attend d’un tel produit», regrette Julien Boutonnet, maître d’enseignement en pâtisserie à l’Ecole hôtelière de Lausanne.
Mövenpick hors du podium
Au final, un seul bac sort véritablement du lot: la Vanilla gousse Bourbon de Thiriet. Nos quatre spécialistes ont apprécié sa couleur, sa texture équilibrée, son onctuosité en bouche. «Voilà une glace qui a un vrai goût de vanille comme on l’attend», a ajouté Stéphane Schneuwly de la Laiterie d’Arconciel (FR). Avec une note finale de 16.6, elle surclasse ses concurrentes malgré un prix deux fois moins élevé que les crèmes glacées les plus huppées.
Sur les deuxième et troisième marches du podium, la Crème d’Or de Migros et la Coop Naturaplan ont des qualités et des défauts très similaires. Les dégustateurs ont apprécié leur apparence et leur consistance en bouche. Mais, là encore, l’excès de sucre et la timidité de la vanille les ont laissés sur leur faim. L’incontournable Mövenpick, elle, doit se contenter de la médaille en chocolat. A l’aveugle, le jury l’a trouvée trop grasse et également avare en goût de vanille.
Yves-Noël Grin
Eclairage
Le prix de la vanille flambe
Son kilo ne valait qu’une trentaine de dollars sur le marché mondial en 2011. Puis, la vanille a vu son cours s’envoler sans discontinuer pour dépasser la barre des 400 $ au début de cette année. Madagascar pèse de tout son poids sur les prix de cette épice si convoitée, elle qui concentre plus de 80% de la production mondiale. Parallèlement à la hausse massive des prix, beaucoup d’observateurs dénoncent une qualité des gousses en baisse liée à un taux de vanilline en chute libre. Tous ces facteurs influencent incontestablement le prix et/ou la qualité des produits qui font la part belle à la vanille. Les crèmes glacées qui ont été dégustées ne sauraient prétendre le contraire.