Rien ne ressemble plus à un jambon qu’un autre jambon! Et pourtant, en préparant cette enquête, les rédacteurs de Bon à Savoir et On en Parle (Radio suisse romande, La Première) se sont aperçus de l’énorme variété de jambons proposée au grand public: une dizaine de sortes dans les grands supermarchés, sans compter les jambons crus…
Qu’ils s’appellent «paysan», «fermier» ou «de campagne», qu’ils soient fumés, rôtis ou braisés, les jambons ont de quoi faire tourner la tête du consommateur au moment de choisir le meilleur produit. Et pour ne rien faciliter, les inscriptions sur les étiquettes des magasins correspondent rarement à celles des fabricants sur leurs emballages. Normal, devrait-on dire, puisque aucune réglementation n’impose de terme spécifique pour chaque spécialité de fabrication…
Dans cet incroyable méli-mélo, une seule chose est cependant sûre: pour avoir le droit de s’appeler «jambon», la viande doit impérativement être fabriquée à partir de la cuisse du porc (*).
Adjonction d’eau exagérée
Hormis cela, le seul critère de qualité mesurable est la teneur en eau de chaque jambon. Une valeur maximale a été établie pour éviter que des fabricants n’en imprègnent leurs produits avec une quantité trop élevée, leur permettant de vendre moins de viande et davantage de liquide. Une tromperie bien connue des laboratoires cantonaux, garants du respect de cette valeur appelée «Q2» (rapport entre les quantités de protéines et d’eau dans la viande): les chimistes cantonaux de Suisse se sont donc accordés pour déterminer qu’il y a un problème dès lors que le Q2 mesuré dépasse 3,7.
Bon à Savoir, en collaboration avec On en Parle, a donc choisi de sillonner Neuchâtel et le littoral alentour pour acheter et faire analyser quinze jambons «modèles», en tranches. Attention, ce terme n’indique pas qu’il s’agit d’un modèle du genre, mais uniquement que le jambon a été cuit dans un moule («modelé»), lui donnant sa forme rectangulaire bien régulière!
Quatre produits non conformes
Les rayons des supermarchés ont bien sûr été visités par nos enquêteurs, tout comme les étalages des boucheries membres de l’Union suisse des maîtres bouchers.
Résultat: le laboratoire indépendant mandaté, spécialisé dans les analyses de contrôle, a décelé quatre produits dont le Q2 dépasse les fameux 3,7 (voir tableau ci-dessous). Il s’agit de deux produits de supermarché en barquette et de deux jambons achetés chez des artisans:
- Coop, jambon modèle;
- Delicarna, Extra tendre et coupé fin (jambon de derrière cuit);
- Jambon modèle sandwich de la Boucherie Crausaz, à Cortaillod;
- Jambon modèle de la Boucherie Reynaud, à Bôle.
Le canton prépare une campagne de contrôle
Pour Marc Treboux, chimiste cantonal neuchâtelois, pas de doute: «Les échantillons pour lesquels la valeur Q2 est supérieure à 3,7 contiennent manifestement trop d’eau. Légalement, une telle adjonction n’est pas interdite, mais elle doit être annoncée sur l’étiquette, le produit devenant alors une «préparation de viande à base de jambon et d’eau», et non simplement du jambon.» Le chimiste est en revanche plus tolérant pour les jambons dont la valeur est égale à ou proche de 3,7: «Il faudrait enquêter de manière approfondie pour vérifier les bonnes pratiques de fabrication, un dépassement occasionnel dû à l’inconstance de la matière première (chaque animal est différent) étant toujours possible.»
Une suggestion qui ne restera pas lettre morte, puisque le laboratoire cantonal de Neuchâtel envisage en effet d’organiser une campagne de contrôle, qui permettra d’imposer les éventuelles mesures de correction, voire des mesures pénales si la tromperie est avérée.
Réaction des bouchers
Les deux bouchers mal classés prennent acte des résultats et n’entendent pas en rester là: «Je suis scrupuleusement les indications inscrites sur les boîtes d’adjuvants que j’utilise dans la préparation de mon jambon», assure Martin Reynaud, qui jure vouloir réagir auprès de son fournisseur. Il va par ailleurs faire analyser une nouvelle fois son jambon pour voir si notre résultat n’est qu’un accident de parcours.
Jacques Crausaz, à Cortaillod, n’est pas très étonné du résultat car, pour lui, le jambon modèle est de qualité inférieure. «Mais ça n’est pas une raison pour dépasser les normes admises», nous a-t-il déclaré. Il a donc interpellé son fournisseur de jambon «sandwich» (fabriqué par Meinen, à Berne, et non par lui-même). L’enquête suit son cours.
Coop admet, Migros nuance
De son côté, Coop déclare que ses propres analyses, régulières, sont dans la moyenne, mais que des écarts sont possibles à cause des spécificités du jambon, qui ne peuvent pas être standardisées. Son porte-parole promet toutefois de soumettre ces produits à des examens plus approfondis.
Migros brandit aussi ses propres analyses, qui donnent régulièrement des moyennes normales. Et ajoute que, pour fabriquer du jambon en tranches très fines (c’est le cas du Delicarna testé), le processus est différent, ce qui peut causer l’écart constaté. Le géant orange précise encore qu’un dépassement du Q2 aussi infime (+ 0,1) n’apporte de toute manière aucun bénéfice financier au fabricant.
Enfin, Denner et Manor sont évidemment satisfaits des résultats, tout comme les autres bouchers qui ont, pour la plupart, ajouté qu’il est difficile de dépasser involontairement la valeur Q2 de 3,7.
Yves-Alain Cornu
(*) Deux exceptions sont toutefois possibles: on peut vendre du jambon d’épaule ou de devant, mais aussi du jambon de dinde ou autre, à condition que cela soit clairement indiqué sur l’emballage.
Petit jeu d’étiquettes
Du jambon, sans en être vraiment…
Petit jeu de cache-cache: lors de votre prochain passage au rayon boucherie, lisez attentivement les étiquettes des jambons. Vous constaterez que certains emballages ne mentionnent jamais le terme «jambon»! Dans ces cas-là, pas de doute: les produits ne remplissent pas les critères de composition et de teneur en eau imposés par les laboratoires cantonaux. Sinon, ils s’appelleraient assurément «jambon»! Un consommateur averti en vaut deux…