Le téléphone sonne toutes les semaines. Parfois plusieurs fois par jour et, chaque fois, avec un numéro entrant différent. La rengaine, elle, reste la même: la personne au bout du fil prétend parler au nom de «l’organisme de protection des consommateurs et du pouvoir d’achat» et appeler les personnes éligibles pour bénéficier d’un nouveau «programme de réduction tarifaire sur tous les coûts». Or, cet organisme n’existe pas. Le réel but de l’appel est d’organiser la venue d’un courtier en assurance à domicile.
Cette forme de démarchage contrevient à la loi contre la concurrence déloyale: il est interdit de cacher son identité lors d’un appel publicitaire. Le cas illustre les ressorts dont se servent certaines entreprises de courtage pour mettre le pied dans la porte. Une fois chez le client, les courtiers poussent souvent lourdement à la signature. Ils y sont particulièrement motivés: nombre d’entre eux dépendent entièrement de leurs commissions pour vivre, puisqu’ils sont parfois engagés sans salaire fixe (lire encadré).
Cela peut conduire à des surprises désagréables: une de nos lectrices a été convaincue en février de changer d’assurance maladie par un courtier de l’entreprise Hestia Conseils. L’agent a prétendu déjà connaître les tarifs pour 2025 – alors que ceux-ci ne sont dévoilés qu’en septembre. De longues démarches ont été nécessaires pour que notre lectrice puisse faire annuler les contrats auprès de son assureur.
Cela fait des années que les assureurs promettent de mieux faire pour stopper le démarchage à froid, via un accord de branche. Face aux résultats décevants de l’autorégulation, le Conseil fédéral a décidé d’interdire la prospection à froid par les assureurs ou leurs intermédiaires dès le 1er septembre 2024. Les courtiers ne peuvent plus contacter une personne qui n’a jamais été assurée auprès de l’assureur ou qui ne l’est plus depuis au moins 36 mois. Le courtier est obligé d’établir un procès-verbal de l’entretien et de le faire signer par le client. Les assureurs qui contreviennent aux règles encourent une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 fr. Le Conseil fédéral a, de plus, plafonné les commissions que peuvent toucher les courtiers.
Révélations d’un ancien courtier en assurance
Kilian B*. a aussi été victime d’une belle promesse de Hestia Conseils: celle de bien gagner sa vie. Après quelques mois d’activité en tant que courtier pour l’entreprise, le jeune Français de 22 ans a vite déchanté. Au lieu du salaire mirobolant qu’on lui a fait miroiter, il est rentré en France avec une perte sèche de 5000 euros: la société ne le défrayait pour aucun déplacement en voiture et ne le payait qu’avec ses commissions, souvent avec des délais de plusieurs mois, tout en refusant de lui payer certains montants.
Le jeune homme s’est senti mal à l’aise face à ce qui était exigé de lui: «Lors de la formation, on nous a dit de ne jamais sortir sans avoir fait signer le client. La devise: ‘Quelqu’un va craquer et ça ne doit pas être vous’.» Il se retrouve souvent chez des gens qui ne sont pas au courant de sa venue, ou alors s’attendent à la visite d’un représentant de l’Etat, censé leur apporter une aide pour payer leurs factures. Une fois par semaine, Kilian B. devait débusquer des clients, en leur faisant croire qu’ils avaient gagné un concours et qu’il allait venir en personne leur donner leur prix – un paquet de bonbons Haribo, soi-disant partenaire de Hestia Conseils. Son cas n’est pas isolé: un autre Français embauché par Hestia Conseils a récemment dénoncé le même traitement dans une vidéo sur la chaîne YouTube d’un courtier basé en Suisse.
L’entreprise, elle, se défend de toute pratique déloyale envers les clients et les employés, et précise que dans l’un des cas susmentionnés, un litige judiciaire et une procédure pénale sont en cours, sans toutefois en préciser la nature ni l’objet.
*nom connu de la rédaction