Les rayons des librairies sont, pour l’amateur de littérature, comme les vitrines des boulangers-pâtissiers: difficile de résister à l’envie de dévorer toutes ces belles pièces les unes après les autres! En plus d’un solide appétit, une bourse bien remplie est requise dans les deux cas: à près de 40 fr./pièce, s’offrir les dernières parutions est un fort joli cadeau. Remplir sa bibliothèque coûte même une petite fortune, sans parler de la place qu’ils occupent dans l’appartement ou la maison. Mieux vaut, enfin, de bons biceps pour les lire au lit, et une valise sans fond pour les prendre en voyage. De là à se laisser tenter par le livre numérique, il n’y a qu’un pas.
Le prix de la patience
Attendre la sortie de son titre favori au format «poche» permet de résoudre la plupart de ces problèmes. Mais comment savoir si une deuxième édition à taille et à prix réduits est vraiment prévue? Sera-t-elle nettement plus avantageuse que l’originale? Et, surtout, combien de temps faut-il attendre? Pour le savoir, nous avons comparé les dates de sortie originales et «poche» de six grands succès littéraires de ces dix dernières années, puis noté la différence de prix d’un format à l’autre. Nous avons, ensuite, contacté les six éditeurs concernés pour vérifier que leur politique de réédition correspondait bien aux données que nous avons relevées.
Argent de poche
631 jours, soit 20 mois et 3 semaines: c’est le temps qu’il a fallu, en moyenne, à nos six best-sellers pour revenir dans les rayons au format «poche». Ce chiffre cache toutefois de fortes disparités: si L’incolore Tsukuru Tazaki de l’écrivain japonais Haruki Murakami n’a même pas attendu une pleine année pour le faire, les lecteurs de Harry Potter ont dû subir l’insoutenable, c’est-à-dire une attente de trois ans et onze mois avant d’avoir entre les mains la fin de l’aventure en petit format (voir tableau). Même le dernier film est sorti plus tôt dans les salles obscures! Fort heureusement, cette bonne dose de patience est récompensée par un net effort au niveau du prix, de l’ordre de 59% en moyenne. Le Voyage d’hiver d’Amélie Nothomb coûte même 65.5% de moins, soit une économie de 16.50 fr.
Trouver un nouveau public
Les éditeurs que nous avons approchés nous ont confirmé que le temps d’attente jusqu’à la parution «poche» varie considérablement. Selon Belfond, il est de douze mois au minimum, de dix-huit mois à Gallimard et d’environ un à deux ans à l’Age d’Homme et Albin Michel. Ces délais sont rarement revus à la baisse, sauf cas exceptionnel, par exemple pour faire coïncider la réédition avec la sortie d’un nouveau titre du même auteur. En revanche, ils peuvent facilement être revus à la hausse: «La sortie au format «poche» se fait lorsque l’œuvre a atteint ses objectifs en grand format, explique Andonia Dimitrijevic, directrice de l’Age d’Homme. A ce moment-là, nous la relançons pour trouver un nouveau public, pour en faire profiter le plus grand nombre, en baissant le prix. Les classes, par exemple, peuvent alors la lire.» Autrement dit, il faut que le titre ait épuisé son potentiel économique: «Si le grand format continue de se vendre, il n’y a pas de raison de le passer en poche», confirme David Ducreux, porte-parole des Editions Gallimard. C’est exactement la raison pour laquelle le dernier volume de Harry Potter n’a pas eu la sienne avant quatre ans!
Succès obligatoire
Toutes les sorties ne bénéficient pas d’une nouvelle parution au format «poche»: «Le succès de la première édition est bien sûr une garantie, même si elle n’est pas absolue», indique l’attachée de presse de Belfond. Outre le succès commercial d’un titre, des critères plus littéraires entrent aussi en ligne de compte, notamment l’éventuel coup de cœur d’un éditeur spécialisé «poche», ou le pari du responsable d’une collection: «Nous estimons parfois qu’un livre qui n’a pas rencontré son public mérite une nouvelle chance au format «poche», explique le porte-parole de Gallimard. La marge de l’éditeur est alors moindre, mais la chance de toucher de nouveaux lecteurs réelle: «Cela permet de changer la couverture et de figurer de nouveau au rayon des nouveautés, chose impossible en cas de réédition au format d’origine», détaille la directrice de l’Age d’Homme.
Il n’en reste pas moins qu’une minorité de titres – 10% à 20% selon l’Age d’Homme, un gros tiers selon Gallimard et Albin Michel – a droit à une seconde vie. C’est rarement le cas des nouveaux auteurs: il a ainsi fallu attendre neuf ans pour que le premier grand succès de Murakami, La ballade de l’impossible, ressorte au format poche, le temps que sa notoriété grimpe suffisamment en francophonie. En revanche, dès que l’une des œuvres d’un écrivain a franchi la barrière, l’horizon se dégage: à de rares exceptions près, tout le reste de sa production suit automatiquement, pour des questions d’uniformité dans la collection.
Payer de sa poche
Il est donc risqué de «jouer la montre» lorsque son auteur préféré n’a encore jamais eu droit à une réédition au format «poche». Et la meilleure chose, pour garantir son succès, est encore de craquer pour ses écrits dès leur parution… à condition de pouvoir se le permettre. Le cas échéant, il n’est pas interdit d’aller voir outre-frontière si l’encre y est plus verte (lire encadré), ou de céder aux sirènes d’internet. On y gagne quelque francs, mais au prix des conseils du libraire.
Vincent Cherpillod
Eclairage
La «taxe suisse» n’a pas disparu
Ce n’est un secret pour personne, les livres coûtent moins cher en France. Nettement moins cher, même, depuis la dépréciation de l’euro face au franc en 2008. Nous avons profité de notre comparatif de prix des livres de poche face aux grands formats pour refaire le point.
Près de 50% plus cher
Force est de constater que la différence peine à s’orienter à la baisse: nos douze ouvrages coûtent, en moyenne, 44% plus cher dans les grandes librairies suisses qu’en France, pays qui connaît un prix unique du livre depuis 1981. Le policier de Joël Dicker est le seul qui s’en sort honorablement, ce qui est logique, puisqu’il est coédité par un éditeur suisse (+4,5% pour le grand format et +19,9% pour le «poche»). La différence augmente lorsqu’on ne considère que les livres de poche, Dicker exclu: +53%, avec une pointe à +69% pour le dernier Murakami. En chiffres absolus, c’est l’Inferno de Dan Brown en grand format qui termine au fin fond du classement. On gagne près de 15 fr. en l’achetant chez nos voisins (24.90 fr. contre 39.10 fr.).
Taxe à la frontière
La situation est toutefois «moins pire», si l’on peut dire, qu’au lendemain de la chute de l’euro, où l’on pouvait observer des prix allant du simple au double. Rappelons que, comme nous l’avons montré dans notre comparatif de l’an dernier (lire «Prix du livre: l’euro a bon dos», BàS 4/2015), les principaux responsables de ces majorations sont les diffuseurs, qui fixent le prix de référence du livre en appliquant, au passage de la frontière, une tabelle de conversion euro-franc très largement à leur avantage...