Consommer des produits de boulangerie locaux ne va pas toujours de soi. Selon l’association Pain suisse, 155 000 tonnes de croissants, baguettes et autres donuts sont importés chaque année. Ce chiffre a presque triplé en
vingt ans.
Jusqu’à récemment, les consommateurs étaient très mal informés de la provenance de ces denrées. Depuis le 1er février, tous les établissements qui proposent du pain et des produits de boulangerie en vrac ont l’obligation d’indiquer, par écrit, leur pays de production, à un endroit visible pour les clients. Sans offrir une transparence parfaite, cette réglementation permet des choix plus éclairés (lire «Un progrès qui reste lacunaire»).
Avec nos partenaires de l’émission On en Parle (RTS - Première), nous avons parcouru les rayons pour connaître la part des produits de boulangerie importés vendus chez Coop, Migros, Aldi, Lidl et Denner. Nous avons également vérifié si les consommateurs étaient correctement informés en nous rendant dans 25 commerces.
Chez Lidl, 44% d’articles importés
Bilan auprès des cinq distributeurs: sur 371 pains et produits de boulangerie en vrac, 88 articles ont été importés, soit près du quart de l’assortiment.
Les écarts entre les enseignes sont importants. Dans le magasin Lidl visité, pas moins de 44% de l’assortiment de pains et de produits de boulangerie vendus en vrac provient de l’Union européenne! Viennent ensuite Aldi (33%), Denner (25%), Migros (21%) et Coop, qui se limite à 10% d’articles importés. Coop détient cinq boulangeries industrielles produisant plus de 64 000 tonnes de denrées par an et a installé 75 «boulangeries maison» dans ses supermarchés, qui fabriquent 7 800 tonnes supplémentaires.
Depuis 13 pays européens
Nous avons relevé des importations de 13 pays européens. 80% des articles étrangers ont été produits chez nos voisins immédiats: Allemagne (27 produits), où Lidl et Aldi ont leur siège international, France (19), Italie (11), Autriche (8) et Liechtenstein (7). Ces pays nous envoient des baguettes françaises, du pain toscan (depuis l’Autriche), des ciabatta (depuis l’Allemagne), des Bretzel de Berlin (depuis la France), des escargots au pavot, des croûtes de seigle du Tyrol, ainsi que des préparations plus communes (petits pains, ballons, donuts, croissants au beurre...).
Certains produits arrivent de beaucoup plus loin: börek grecs, muffins irlandais, donuts à la framboise polonais, bolo de arroz portugais, etc.
La moitié des produits importés relevés sont des viennoiseries. Viennent ensuite les produits salés. Quant au pain, il ne totalise qu’un cinquième des articles importés.
Les explications des distributeurs
«Certaines spécialités ne peuvent pas être produites en Suisse», justifie Vanessa Meireles, porte-parole de Lidl. «Nous nous concentrons sur un mélange optimal de produits régionaux et internationaux afin de répondre aux différents souhaits de notre clientèle.»
Les autres distributeurs affirment recourir aux importations pour diverses spécialités, comme les börek grecs, ou quand le produit nécessite une technologie ou des capacités de production indisponibles en Suisse.
Migros conteste nos chiffres et affirme que plus de 95% de son assortiment est suisse. Les relevés de nos cinq enquêteurs montrent pourtant le contraire! Denner soutient que les produits liechtensteinois figurant dans ses rayons doivent être comptabilisés comme suisses, ce qui réduirait le taux d’articles étrangers que nous avons calculé de 25% à 13%. Car ces produits sont certifiés par la marque Suisse Garantie, qui inclut le Liechtenstein.
«Générer un meilleur profit»
Yves Girard, secrétaire général des Artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs vaudois, se montre très critique face à ces importations: «Produire à l’étranger avec des normes autrement plus économiques génère un meilleur profit pour les revendeurs. Le coût de production en Suisse, hors marge, correspond au prix de vente des produits étrangers. Les importations ont des raisons purement économiques.»
Il enjoint les consommateurs à acheter du pain suisse: «Vous permettez à des jeunes de se former et à des milliers de familles de vivre du produit de leur travail. Faites que votre pain ait le goût des céréales suisses et non l’odeur du pétrole des avions et des camions de transport.»
Un progrès qui reste lacunaire
Le croissant doré, encore chaud, qui vous fait de l’œil, est peut-être un article surgelé importé, simplement cuit ici. Jusqu’à récemment, cela suffisait pour qu’il soit considéré comme suisse! Aucune indication écrite de provenance n’était obligatoire: les commerçants pouvaient se contenter de donner l’information par oral. Cette situation manquait cruellement de transparence pour les consommateurs.
Les nouvelles dispositions légales imposent d’indiquer par écrit le pays de production des pains et des articles de boulangerie en vrac, à un endroit visible pour la clientèle. Le pays de production est celui où le produit a acquis ses caractéristiques essentielles. Il ne suffit plus de cuire un produit pour le rendre suisse. Un progrès, qui reste lacunaire: l’indication ne dit rien sur la provenance des matières premières. Un pain peut être fabriqué en Suisse avec de la farine importée.
La motion à l’origine des dispositions actuelles demandait, pourtant, que la provenance des ingrédients soit mentionnée. Les associations professionnelles et le Conseil fédéral s’y sont opposés. «Le coût pour réaliser ce travail serait trop lourd à supporter et viendrait encore renchérir le produit final», soutient Yves Girard, secrétaire général des Artisans boulangers-pâtissiers-confiseurs vaudois. D’après lui, les matières premières utilisées par les artisans boulangers sont suisses la plupart du temps.
Conseil: la marque Pain suisse garantit au moins 80% de matières premières helvétiques.
Caractères illisibles, indications manquantes, etc.
Nous avons visité 25 commerces pour déterminer si les vendeurs respectent leurs obligations d’indication de provenance: une succursale de Migros, Coop, Denner, Aldi et Lidl, dix boulangeries indépendantes, trois chaînes de boulangerie, cinq stations-service, et deux commerces dans une gare.
La loi est entrée en vigueur le 1er février après un délai transitoire d’un an. Le 5 février, jour de notre visite, le Denner visité n’affichait pas les informations légales. Il s’est mis en conformité quelques jours après, tout comme une boulangerie.
Hormis ce retard, les grands distributeurs mentionnent correctement les provenances sur les étiquettes de rayon. Les boulangeries indépendantes préfèrent les panneaux placés derrière le comptoir et annoncent généralement une production suisse, ajoutant parfois qu’elle se fait sur place. Nous avons relevé plusieurs problèmes: une boulangerie, qui a opté pour des étiquettes de rayon, a mentionné l’origine en lettres si petites qu’il nous a été impossible de la lire derrière le comptoir. La vendeuse a dû décrocher l’étiquette et la coller sous nos yeux. La pratique d’une chaîne laisse songeur: un panneau derrière la caisse annonce «Tous nos pains et produits de boulangerie sont produits en Suisse» et en tout petit, illisible pour les clients, «hormis nos torsades et nos chaussons aux pommes qui proviennent de France».
Dans certaines stations-service, la mention d’origine manquait sur une partie des produits. Au total, les indications étaient peu lisibles ou incomplètes dans six commerces visités. Les chimistes cantonaux, responsables des contrôles, ont du pain sur la planche.