On le sait déjà, les cartes de fidélité et les plateformes de vente en ligne offrent des possibilités à faire saliver les responsables marketing des grands distributeurs suisses. Grâce à elles, ils savent exactement ce que les consommateurs mettent dans leur caddie et peuvent ainsi cibler des campagnes publicitaires en fonction du comportement d’achat. Mais Coop veut aller plus loin et vient de tester, cet été, un système informatique permettant de fournir des rabais personnalisés à sa clientèle Coop@home.
A l’heure actuelle, la plateforme envoie des coupons de réduction de 20% sur un produit à un groupe d’acheteurs, notamment via une newsletter individuelle. Or, le nouveau procédé permettrait de proposer des rabais encore plus précis et à un seul client. «Si quelqu’un achète régulièrement la bière Prix Garantie, il pourrait recevoir un bon de 30% pour la bière Beck plus chère et, par la suite, devenir un buveur de Beck à long terme», expliquait le fournisseur du logiciel au journal alémanique Schweiz am Sonntag.
Système «en cours d’évaluation»
Une fois la stratégie de Coop dévoilée, les critiques ont fusé outre-Sarine. Certains y voient, en effet, une discrimination par les prix sur des biens de consommation courante, car une personne ne bénéficiant pas de réduction paie, par conséquent, plus cher certains produits. L’utilisation des données privées inquiète également. L’entreprise marche dès lors sur des œufs: «Le test de ces coupons est maintenant achevé et en cours d’évaluation, déclare-t-elle. Il n’y aura pas de rabais personnalisés dans un avenir proche sur la plateforme Coop@home.»
Et chez la concurrence? Manor et Denner sont catégoriques et disent ne pas proposer de telles réductions. Migros dispose également d’un site internet de vente en ligne qui permettrait d’intégrer des promotions individualisées. «LeShop.ch ne fait pas de rabais produits ciblés selon les clients», coupe toutefois son directeur Dominique Locher. Mais qu’en est-il des actions fournies aux clients utilisant la carte Cumulus lors de leurs achats au magasin?
«Voilà déjà plus de 10 ans que les membres Cumulus ont droit à des propositions taillées sur mesure», répond l'entreprise. Et de citer, par exemple, le cas des familles avec enfants en bas âge qui ont droit à des offres spécifiques pour des couches. Or, comme les clients peuvent également entrer leur numéro Cumulus sur la plateforme LeShop, les données de leurs achats en ligne sont aussi parfois collectées, afin de fournir des rabais ciblés.
Augmenter la marge bénéficiaire
Dans son ouvrage «Surveiller et récompenser: les cartes de fidélité qui nous gouvernent», le sociologue Sami Coll s’était précisément intéressé à ces nouvelles tendances. «Lors de mes observations entre 2007 et 2009, j’ai pu voir que ce genre de marketing – appelé «up selling» – était pratiqué par Migros. Le responsable des produits laitiers propose, par exemple, qu’on envoie des rabais pour un gruyère affiné à des clients qui achètent régulièrement du gruyère doux. On tente ainsi de changer les habitudes de consommation pour vendre des produits qui disposent d’une plus grande marge bénéficiaire.»
Les distributeurs ont donc beau déclarer que les coupons de réductions personnalisés sont là pour dire «merci» aux clients fidèles, l’objectif principal de ces rabais est, à n'en pas douter, purement mercantile.
Loïc Delacour
A la tête du client
Après les rabais ciblés, les responsables marketing songent déjà à la prochaine étape: les prix personnalisés. L’Association internationale de transport aérien (IATA), par exemple, veut faire approuver le système «New distribution capability». Qui permettrait aux compagnies aériennes ou aux agences de voyages de collecter et d’échanger des données privées (année de naissance, historique des vols, état civil, etc.) pour proposer des offres individuelles. Les assureurs rêvent, quant à eux, de pouvoir mettre la main sur les informations personnelles des consommateurs (poids, activités sportives, fumeurs, etc.) pour adapter les primes en fonction de l’assuré et des risques qu’il représente. L’utilisation massive des données privées à des fins de différenciation des tarifs pose évidemment la question d’une discrimination par les prix. A l’heure du «big data», il s’agit donc d’un enjeu majeur à venir pour la protection des consommateurs.