Les lingettes pour bébés à usage unique sont pratiques. Mais leur composition doit-elle inquiéter les parents, sachant que la peau des jeunes enfants est plus fine, et donc particulièrement perméable aux substances chimiques? En collaboration avec l’émission On en parle (RTS La Première), Bon à Savoir a fait la chasse aux ingrédients préoccupants.
Nous avons acheté dix sortes de lingettes dans les grandes surfaces et pharmacies, puis demandé à un laboratoire spécialisé d’analyser la présence de méthylithiazolinone (MIT), de phénoxyéthanol et de cinq parabènes. De ces agents conservateurs, il n’y a pas que le nom qui fasse peur. Le premier est en effet un allergène cutané avéré, alors que les autres sont accusés d’être des perturbateurs endocriniens (lire «Les critères du test»).
Nous avons également confié à un spécialiste l’examen des ingrédients figurant sur les emballages, afin de relever la présence d’autres substances potentiellement problématiques du point de vue sanitaire ou environnemental. Au final, notre enquête a porté sur douze composants, dont la plupart sont des agents conservateurs antimicrobiens.
Les Milette Sensitive – annoncées sans parfums et sans conservateurs – s’en tirent avec les honneurs. Ces lingettes ne contiennent aucune des douze substances préoccupantes retenues, alors que ses concurrentes en ont d’une à cinq (voir tableau).
Les fabricants respectent les normes
Globalement, les analyses de laboratoire révèlent deux faits positifs. Premièrement, les fabricants ne mentent pas. Les articles qui ne mentionnent pas de MIT, de phénoxyéthanol ou de parabènes sur leur emballage n’en renferment effectivement pas.
Deuxièmement, lorsqu’ils en ont, les quantités respectent les normes légales suisses. Ce constat n’allait pas forcément de soi. Car, contrairement aux médicaments, les cosmétiques n’ont pas besoin d’une autorisation pour être mis sur le marché en Suisse. «Le fabricant, importateur ou revendeur doit s’assurer que ses produits cosmétiques satisfont aux exigences légales selon le principe de l’autocontrôle», précise l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Les autorités cantonales font malgré tout quelques pointages pour vérifier, ensuite, leur conformité.
Pas de parabens
Et, pour continuer avec les bonnes nouvelles, nous n’avons trouvé aucun des cinq parabènes recherchés dans les dix lingettes. Ce qui est réjouissant, mais soulève une question: par quels autres agents conservateurs les fabricants les ont-ils remplacés? Nous savions que, lorsque l’innocuité des parabènes a été mise en cause, certains industriels les ont substitués par de la méthylithiazolinone (MIT) et/ou du phénoxyéthanol, raison pour laquelle nous avons choisi de rechercher aussi ces deux composants.
MIT: Nivea joue la montre
Au vu de nos résultats, la MIT, accusée d’être allergène, est aussi tombée en disgrâce, puisque seules les lingettes Nivea en contiennent. Beiersdorf, propriétaire de Nivea, joue la montre et affirme avoir «déjà réagi au début de 2013 en décidant de remplacer dès que possible la méthylisothiazolinone dans toutes les formules de soins de la peau sans rinçage». De toute évidence, cela semble prendre du temps.
En ce qui concerne le phénoxyéthanol, les résultats sont un peu moins réjouissants: nos analyses en révèlent la présence dans pas moins de sept produits. Les fabricants se réfugient derrière la loi et soulignent que leurs articles respectent les normes légales. C’est vrai, mais la question est aussi de savoir si les normes actuelles sont un véritable gage de sécurité.
Pour le phénoxyéthanol justement, la très sérieuse Agence nationale française de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) va ainsi plus loin que les lois actuelles et recommande d’être plus strict dans les produits destinés aux enfants de moins de trois ans (lire «Les critères du test»). Un avis que ne partage pas Michaela Rogaischus de Beiersdorf: «C’est une substance bien connue qui a depuis longtemps fait la preuve de son innocuité.» Migros, de son côté, promet de discuter avec ses fournisseurs «quant à l’opportunité de renoncer entièrement à ce conservateur pour tout l’assortiment destinés aux bébés».
Le grand dilemme de la toxicité
Que penser dès lors de l’utilisation de phénoxyéthanol? Le fait que l’ANSM émette des doutes sur son innocuité, en affirmant cependant que «toute limitation et/ou modification de la concentration finale en phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques devra toutefois être compatible avec l’activité antibactérienne attendue d’un conservateur», illustre à quel point l’évaluation des risques réels est ardue. «La toxicologie est une science complexe, car de multiples facteurs peuvent rendre une substance plus ou moins toxique. Cela dépend notamment de la dose, de la durée et de la fréquence du contact avec la peau», relève Bernard Noël, dermatologue et chargé de cours à l’université de Lausanne.
Les études manquent pour de nombreux composants et, lorsqu’elles existent, leurs résultats sont souvent remis en cause. Mais la fonction de certains d’entre eux ne doit pas être sous-estimée: «Il est important de rappeler que les conservateurs jouent un rôle essentiel dans les cosmétiques», souligne Sabina Helfer, porte-parole de l’OSAV. Sans eux, des bactéries pourraient se développer et provoquer des infections.
Face à cette complexité et à la difficulté d’établir le degré de toxicité de chaque composant trouvé, nous avons décidé de ne pas attribuer de notes aux lingettes. Une décision appuyée par l’avis de plusieurs spécialistes qui nous ont avertis qu’un tel classement serait trop subjectif. Cela étant, appliquer le principe de précaution semble ici une option raisonnable: dans le doute, on peut préférer les articles qui contiennent le moins de composants suspects et limiter leur utilisation (lire ci-contre).
Sébastien Sautebin / Carole Despont
Dans le détail
Les critères du test
Nous avons demandé à un laboratoire spécialisé de rechercher les substances suivantes.
(1) Parabènes: utilisés pendant des décennies, ces agents conservateurs sont tombés en disgrâce il y a quelques années après avoir été accusés d’être des perturbateurs endocriniens. En Suisse, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires se dit «favorable à la réduction des concentrations maximales et à l’interdiction de certains parabènes». En Europe, la situation évolue, puisque certains d’entre eux, dont l’isobutylparaben, sont interdits depuis avril 2014. Nous en avons recherché cinq: l’isobutylparabène, le methylparabène, l’ethylparabène, le propylparabène, le butylparabène.
(2) Phénoxyéthanol: l’Agence nationale française de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a émis des recommandations, fin 2012, pour le phénoxyéthanol dans les cosmétiques destinés aux enfants de moins de 3 ans: les produits pour le siège ne devraient pas en contenir, alors que les autres ne devraient pas dépasser la concentration de 0,4% (contre 1% actuellement). Les risques ne sont pas clairement définis. Ce conservateur «est suspecté d’être toxique pour la reproduction et sur le développement», d’après des expériences animales, révèle l’ANSM, qui a demandé une évaluation communautaire de l’UE.
(3) Méthylithiazolinone (MIT): cet agent conservateur est accusé d’avoir provoqué de nombreux eczémas de contact. En Suisse comme en Europe, il est autorisé dans les produits non rincés dans une concentration maximale de 0,01%. La quantité trouvée dans l’un des échantillons (0,005%) respecte donc les normes. Fin 2013, le Comité scientifique de sécurité des consommateurs (SCCS), mandaté par la Commission européenne, a toutefois prévenu «qu’aucune concentration sûre n’a pu être démontrée» pour les produits non rincés, comme les lingettes. De son côté, l’association faîtière des fabricants European Cosmetics a tout simplement recommandé, l’an passé, à ses membres de ne plus utiliser de MIT dans les produits non rincés.
Un expert a également traqué les substances préoccupantes sur les listes d’ingrédients des emballages. Il a ainsi remarqué la présence de:
(4) Benzoate de sodium: ce conservateur a notamment été mis en cause dans certains cas d’hyperactivité. Les conclusions sont toutefois contestées par certains scientifiques.
(5) Parfums: ils peuvent contenir des substances allergènes et/ou des phtalates, accusés d’être des perturbateurs endocriniens.
(6) EDTA: On reproche à cet agent de chélation chimique de se fixer dans l’organisme et de retenir d’autres substances comme les métaux lourds. Il serait donc préférable de ne pas l’utiliser dans les produits pour enfants.
(7) PEG 40 hydrogenated castor oil: ce composant difficilement dégradable mettrait en danger la santé des personnes qui récoltent la plante dont il est issu et sa fabrication serait particulièrement polluante. De plus, selon l’avis d’experts américains, il ne devrait pas être utilisé sur des peaux endommagées. Le PEG 40 peut aussi contenir des impuretés dangereuses (oxyde d’éthylène, arsenic, etc.)
(8) Di- et/ou tri-methicone: ce sont des huiles et des cires de silicone, très peu biodégradables et nocives pour l’environnement, donc indirectement pour la santé.
Conseils pratiques
Ce bon vieux savon de Marseille
«D’une manière générale, je ne recommande pas l’utilisation au quotidien de lingettes humides, car elles contiennent toutes des agents potentiellement irritants ou allergisants, surtout pour les fesses d’un bébé», résume Bernard Noël. Selon le dermatologue, il vaut mieux préférer, comme autrefois, l’eau et un peu de savon: «C’est moins risqué, plus écologique et beaucoup plus économiques. Un produit solide, comme les savons de Marseille ou d’Alep, est à préférer aux versions liquides qui contiennent des conservateurs. On veillera aussi à ne pas l’appliquer directement sur la peau, mais à le diluer dans un peu d’eau.