Pas d’été sans rosé. Servi frais, autour de 10°C, ce vin évoque le Sud, les vacances, la légèreté. La courbe des ventes confirme d’ailleurs le côté météo sensible de notre attachement à cet alcool, avec un pic durant la belle saison, entre mi-juin et mi-août. Dans les grandes surfaces, les rosés étrangers rivalisent avec les produits suisses.
Nous avons sélectionné douze bouteilles à moins de 15 fr., achetées en supermarchés, pour les soumettre au nez et au palais de quatre experts, lors d’une dégustation à l’aveugle. Résultat: dans cette gamme bon marché, les crus locaux cèdent le pas, détrônés par un rosé français et un pinot grigio italien qui atteignent les deux plus hautes marches de notre classement. Le Côte à Côte, de la Cave de la Côte, à Morges décroche la troisième place.
Ne pas se fier à la couleur
Le vin rosé doit ses teintes à son mode de vinification (lire encadré). Corail, saumon, bonbon, pétale de rose... Si la palette de nuances regorge de noms évocateurs, ceux-ci ne disent toutefois rien de la qualité du produit lui-même. La couleur du vin en donne, tout au plus, un avant-goût. Pâle, le vin devrait être peu tannique, porteur d’arômes d’agrumes, de pêche ou d’abricot. Foncé, il risque d’être plus riche, évoquant plutôt les fruits rouges. Le rose «sirop grenadine» du Mateus portugais ou du Dornfelder demi-sec autrichien signale un type de vins doux et clivant qui compte néanmoins beaucoup d’amateurs.
À boire dans les deux ans
Le rosé ne fait, en principe, pas partie des vins de garde. Il se boit dans les deux ans qui suivent les vendanges. Parmi les vins testés, les millésimes 2021 côtoient plusieurs crus de 2020, encore très présents dans les grandes surfaces, cette année. La faute à la météo pluvieuse de l’été dernier qui a détourné les clients et, sans doute, fait gonfler un peu les stocks.
L’Observatoire suisse du marché des vins (OSMV) confirme un petit fléchissement des ventes de vins rosés suisses par les enseignes de grande distribution, en 2021 (-1,3%), alors que les vins rouges et blancs affichaient de légères hausses (+0,9% et +1,3%). En 2020, la situation était tout autre. Les ventes de rosé dans les supermarchés avaient explosé (+14%), à la faveur d’un bel été et, sans doute aussi, des aléas rencontrés par les cafés, les restaurants et les grandes manifestations dans la tourmente de la pandémie de covid. Depuis quelques années, la cote des rosés est à la hausse. Fruités, faciles d’accès, oscillant entre acidité et douceur, ces vins séduisent de plus en plus.
Une bonne bouteille à 4.95 fr.
Sur les douze vins de notre test, une moitié provenait de Suisse romande, l’autre de l’étranger: France, Espagne, Italie, Portugal, Autriche et Etats-Unis. Un éventail très large qui met en lumière d’importantes disparités, dues au terroir, à la vinification, mais aussi aux différents cépages.
En Suisse, les vins rosés sont, pour la plupart, fabriqués à partir de pinot noir, de gamay ou de gamaret. L’œil de perdrix, par exemple, est un rosé issu exclusivement du pinot noir, alors que la dôle blanche réunit du pinot noir et du gamay. Le Mateus portugais, quant à lui, est issu de mélanges de différents cépages lusitaniens, tels que le baga, le rufete, le tinta barroca ou le touriga franca.
Le vainqueur de notre dégustation est un Côtes de Thongue, du Domaine Montrose, un vin de la région du Languedoc-Roussillon, composé à 65% de grenache, 25% de cabernet sauvignon et 10% de syrah. D’une teinte pâle, c’est «un joli rosé avec une finale sur les agrumes très agréable», pour Stéphanie Van Hauwaert. Acheté à 8.95 fr. la bouteille chez Manor, son prix est bien inférieur au budget maximum que nous avions fixé, soit 15 fr. par bouteille. Mais le meilleur rapport qualité/prix du test revient à l’italien Fior Di Settembre. Acheté 4.95 fr. chez Coop, il se hisse à la deuxième place du test, grâce à «une bouche fraîche et dynamique» ainsi qu’un «nez assez charmeur, sur le fruit frais, la rose fraîche», selon Sarah Pages.
Un Vaudois sur le podium
Troisième de notre classement et premier des vins suisses, le vaudois Côte à Côte est, selon Richard Pfister, «un vin bien équilibré en bouche». «Avec un petit sucre en trop pour moi, mais qui peut plaire à certains consommateurs», précise-t-il. Trois vins se partagent la quatrième place: le Dornfelder autrichien, le Faustino V espagnol et l’Œil de Perdrix neuchâtelois.
Les deux Dôles Blanches valaisannes n’ont pas eu les faveurs de notre jury. Les Clagières, en particulier, sur lequel certains jurés ont relevé un défaut d’oxydation. En queue de peloton, le Cali Monument, un zinfandel de Californie – également le vin le moins cher de notre test à 3.99 fr. – a fait l’objet d’un désamour général de nos experts, plombé par une dose de sucre disproportionnée, selon eux.
A chacun de trouver son rosé de l’été, en se fiant à ses papilles. Et en se rappelant que, non, ce vin ne provoque pas plus de maux de tête qu’un autre. Qu’il soit labellisé avec ou sans sulfites, d’ailleurs. Car les lendemains d’hier difficiles ont surtout à voir avec la lente dégradation de l’alcool dans l’organisme. Inutile de préciser que le seul conseil qui vaille reste la modération.
Geneviève Comby
Le rosé, c’est… du rouge? du blanc? Un peu des deux?
Oui, en mélangeant du vin blanc et du vin rouge, on obtient une jolie teinte rosée. Mais, non, le vin commercialisé comme rosé n’est pas un assemblage des deux. Il est issu de cépages rouges. En Suisse, on utilise souvent du pinot ou du gamay, voire les deux. La coloration rose du vin provient des pigments naturels de la peau des raisins rouges, les anthocyanes. Le phénomène se produit avant la fermentation, lorsque les grains de raisins macèrent en contact avec la peau. Selon la durée de cette opération, l’imprégnation du jus de raisin par les anthocyanes sera plus ou moins intense. D’où l’existence de teintes plus ou moins foncées. Le terroir et le cépage jouent aussi un rôle dans la coloration du vin.
Le jury
Stéphanie Van Hauwaert
Caviste, Vinothentic, Gland
Mattéo Murphy
Vigneron, caviste et animateur d’ateliers de dégustation, Chexbres
Richard Pfister
Ingénieur œnolgue, Œnoflair, Semsales
Sarah Pages
Caviste, Cépages, Lausanne