En ces temps de pénurie de logements et de taux hypothécaires particulièrement bas, l’acquisition d’un logement en fait rêver plus d’un. En tant que locataire d’un appartement, il peut arriver que le bailleur décide de le transformer en propriété par étages (PPE), pour le revendre (lire encadré). Arrive alors la grande question de savoir si, oui ou non, il vaut la peine de le racheter, au niveau tant des coûts que des responsabilités. La réponse concerne d’ailleurs n’importe quel locataire qui rêve de devenir propriétaire…
Les fonds préliminaires
Prenons l’exemple de Jean, 42 ans, qui habite Fribourg dans un appartement de 5 pièces de 105 m2 avec sa femme et ses deux filles. Son loyer mensuel s’élève à 1754 fr., charges comprises, mais cet appartement est mis en vente pour 415 000 fr. (point 1 dans le tableau ci-contre).
Première condition, et pas des moindres, Jean doit fournir 20% de fonds propres, soit 83 000 fr. (2). Et payer les frais d’acquisition (émolument de l’acte et du Registre foncier, droits de mutation, TVA, honoraires du notaire et débours) pour un montant total de 16 600 fr. (soit env. 4% du prix d’achat (PA) dans le canton de Fribourg) (3). De plus, il ne faut pas négliger le prix du gage immobilier (constitution d’une cédule hypothécaire: (4)), qui revient, dans notre cas, à environ 1,5 % du PA (4980 fr.).
Ces frais préliminaires n’étant pas financés par les banques, le futur propriétaire doit avoir assez de liquidités pour pouvoir les financer. Jean devra, de ce fait, sortir 104 580 fr. de sa poche!
Les frais annuels
Outre ces frais préliminaires, l’acheteur doit verser à sa banque des intérêts. N’aimant guère les risques, Jean privilégie le taux fixe sur 10 ans, aujourd’hui particulièrement bas. Pour un prêt de 332 000 fr. à 2,1%, il faudra débourser 6972 fr. par année (5).
Par ailleurs, il faut prendre en compte l’amortissement qui s’élève à 1% du prêt hypothécaire, soit 3320 fr. (6). A noter que cet argent revient à la banque comme garantie, qu’elle place généralement sur un compte de 3e pilier A lié. Enfin, il faut encore prendre en considération les frais d’entretien théoriques (électricité, conciergerie, etc.) qu’on estime usuellement à 1% du P.A., soit 4150 fr. dans notre cas (7).
Les impôts
Pour que notre comparaison soit complète, il faut encore tenir compte de l’avantage fiscal. Contrairement au locataire, explique Stéphane Lanz, administrateur de la Société de conseils en financement immobilier Defferrard & Lanz, le propriétaire se voit ajouter à son revenu imposable une valeur locative, qui varie selon les cantons et les caractéristiques du bien-fonds. Dans notre exemple, celle-ci est estimée à 7500 fr. par an.
En contrepartie, l’acheteur peut déduire certains frais: les intérêts débiteurs (7902 fr.), le 3e pilier A lié (3320 fr.) et 20% forfaitaires de la valeur locative (1500 fr.). En soustrayant la valeur locative, le total des déductions se monte à 5222 fr., qu’il faut multiplier par le taux marginal d’imposition (ici estimé à 25%). Résultat: Jean, en tant que nouveau propriétaire, peut économiser 1305 fr. (8).
Tout compte fait, la charge totale se monte à 1095 fr. par mois, ce qui représente, en comparaison avec une location, une diminution mensuelle non négligeable de 659 fr.
Les conditions
Mais les banques sont méfiantes et ne prêtent pas à n’importe qui. Pour être certaines que le demandeur soit en mesure de payer, elles additionnent différentes charges et s’assurent qu’elles n’excèdent pas le tiers des revenus bruts annuels de l’acheteur. Grosso modo, les banques évaluent ces charges à 7% de la valeur du bien. Ce pourcentage est composé du taux hypothécaire (moyenne historique de 5%), de l’amortissement (1% également) et des frais d’entretien (1% du bien-fonds). Dans notre exemple, le montant total s’élève à 24 070 fr. Etant donné que Jean gagne 100 000 fr. brut par année, le tiers de son revenu est de 33 333 fr. La banque va donc estimer qu’il est en mesure d’assumer les charges. Attention toutefois: les établissements financiers déduisent du revenu annuel brut ou ajoutent aux charges hypothécaires théoriques les éventuels crédits, leasings et pensions dont le demandeur doit s’acquitter. Des frais qui pèsent souvent lourd dans le budget et réduisent fortement le total du revenu.
Les pour et les contre
Locataire ou propriétaire? L’un et l’autre de ces statuts comportent des avantages et des inconvénients. Le locataire peut résilier le bail en tout temps (changement de lieu de travail, logement devenu trop petit, etc.), n’a aucuns frais d’entretien ou administratif et son capital peut être investi. En revanche, ce n’est pas lui qui tient les rênes: le bail peut être résilié, le loyer être augmenté, les transformations sont quasi impossibles et ses frais d’hébergement ne sont pas déductibles (sauf en cas de revenu modeste).
Le propriétaire, lui, peut louer son bien-fonds, le mettre en gage, le vendre, le donner ou encore le léguer. Il est en outre libre d’agir à sa guise en aménageant et en améliorant son intérieur, selon ses goûts et ses besoins. Il peut également bénéficier d’avantages fiscaux. Mais, d’un autre côté, il doit être en mesure de répondre aux nombreux frais d’entretien et de réparations, d’assumer un endettement sur le long terme et le capital investi ne peut pas être débloqué rapidement.
Risques imprévisibles
En effet, le propriétaire vit constamment avec le risque de ne plus être en mesure de payer ses annuités, à la suite de complications (maladie, perte d’emploi, etc.). Sans parler des taux hypothécaires, actuellement très bas, qui ne sont pas à l’abri d’une hausse dans les années à venir. Dans notre exemple, Jean est tranquille pour 10 ans. Mais, lors de la renégociation de son hypothèque, les taux pourraient être nettement plus élevés. Sera-t-il encore en mesure de les assumer?
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Les droits du locataire
En Suisse, le congé-vente n’est pas autorisé. Si un bailleur résilie le bail d’un locataire dans le seul but de le pousser à acheter l’appartement loué, le congé est annulable. Ce n’est toutefois pas difficile de contourner cet obstacle: les propriétaires peuvent, en effet, résilier le bail pour vendre ensuite sans la présence de locataires.
Dans un pareil cas, le locataire demandera la prolongation du bail s’il peut prouver que quitter son logement provoque des conséquences pénibles pour lui ou sa famille, sans que, par ailleurs, les intérêts du bailleur le justifient. La durée de prolongation se fonde sur différents critères (les conditions personnelles et financières des partis, la situation du marché local, etc.) et s’étend jusqu’à quatre ans au plus.
Dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel et de Genève, une loi sur l’aliénation d’appartements loués, dont l’objectif est de lutter contre la pénurie de logements, est encore plus restrictive, puisqu’un propriétaire qui désire transformer son immeuble en PPE doit soumettre son cas à autorisation. Résultat: dans ces cantons, la vente à la découpe est difficilement réalisable, voire impossible, le Service du logement ayant prévu un dispositif de surveillance très strict.