Le glyphosate est toujours le pesticide le plus utilisé en Suisse, mais le Dicamba est en train de lui voler la vedette. Ce produit tératogène a fait littéralement hurler les agriculteurs américains, l’automne dernier. Le problème? Cousin du glyphosate, il est très volatil. Lorsqu’il est pulvérisé, il s’envole volontiers sur la végétation et les champs environnants, détruisant tous les végétaux sur son passage. Pire, il est tellement volatil qu’il peut parcourir de longues distances depuis son lieu d’épandage.
Face au problème, les paysans américains ont déposé plus de 2000 réclamations auprès des autorités compétentes en 2017. De son côté, l’Agence américaine de l’environnement a évalué les dégâts collatéraux liés à la substance: 1,5 million d’hectares de culture de soja auraient ainsi été détruits par une dispersion involontaire. Très touchés, les Etats du Tennessee et du Missouri ont très vite imposé des restrictions d’usage. L’Arkansas en a même suspendu la vente.
La faute aux OGM
Mais comment cet ancien pesticide, utilisé normalement avant que les végétaux ne sortent de terre, a-t-il pu créer une telle levée de bouclier? Monsanto a mis au point des semences de soja et de coton génétiquement modifiées pour leur permettre de tolérer le dicamba. Une nouvelle «technologie» qui a été acceptée par les autorités américaines en 2016. Dans le même temps, le dicamba a également été modifié pour pouvoir être épandu sur des plantes déjà sorties de terre. Ces nouvelles fonctionnalités ont immédiatement séduit les agriculteurs confrontés aux mauvaises herbes résistantes au glyphosate. Les deux nouveautés ont fait s’envoler ses ventes aux Etats-Unis, en 2017. Pour le malheur des agriculteurs qui ont vu la substance se propager loin à la ronde sur des cultures normales et pas génétiquement modifiées par Monsanto pour résister à ce tueur volant.
En vente chez Migros
En Suisse, «il y a actuellement 23 produits autorisés contenant du Dicamba et 22 produits dont l’importation parallèle est admise», relève Olivier Félix, responsable du secteur Protection durable des végétaux à l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), à Berne. Et, en 2016, ce sont un peu plus de sept tonnes qui ont été pulvérisées sur le sol helvétique.
Parmi les produits commercialisés en Suisse, le très populaire désherbant pour gazon Mioplant (photo) de Migros. Le géant orange propose le dicamba dans son assortiment depuis 2011 et assure se conformer à la loi en vigueur dans le pays: «Actuellement, il n’est pas envisagé de le supprimer, explique Lisa Asticher, du Service de communication de la coopérative. Migros reste toutefois en contact permanent avec les instances responsables. Dans le cas d’une ré-
évaluation de cet herbicide, Migros prendra évidemment les mesures nécessaires.»
Désintérêt des autorités
Les nombreuses réactions liées à l’utilisation du dicamba outre-Atlantique et le fait qu’il soit utilisé en Suisse ont poussé la conseillère nationale saint-galloise Claudia Friedl à intervenir au Parlement à la fin de novembre 2017. Sa question était très simple: «Le glyphosate sera-t-il remplacé par le Dicamba?»
La réponse du Conseil fédéral a été lapidaire et est parfaitement résumée par Olivier Félix, de l’OFAG: «La situation aux Etats-Unis est différente dans la mesure où le dicamba semble y être ajouté au Roundup dans les cultures génétiquement modifiées pour pallier le développement d’adventices résistantes. En Suisse, la culture d’OGM n’étant pas autorisée, cette pratique n’est pas de mise.»
L’objet ayant été liquidé sans suite, Claudia Friedl est un peu amère: «Certes, la culture de plantes OGM n’est pas autorisée en Suisse, mais le Conseil fédéral n’entre pas en matière sur la volatilité du produit. Et c’est justement là que réside le problème du dicamba: que se passe-t-il lorsqu’il atteint des champs voisins de son lieu de dispersion? De plus, qu’en est-il des risques pour la santé? Le Conseil fédéral ne s’exprime pas non plus sur ce point. Mais la probabilité que cette substance ait un impact sur la santé est élevée. Des études devraient être menées sur ce point.»
Pour l’heure, la Suisse ne se sent pas concernée par le problème. De son côté, Monsanto, le plus gros producteur mondial, se contente d’un... «nous ne vendons pas ce produit en Suisse», selon Christi Dixon, responsable des relations publiques de la firme. Ce qui n’empêche pas cette substance d’être intégrée à des mélanges vendus par d’autres marques en Suisse.
Annick Chevillot
En pratique
Le dicamba, c’est…
... un désherbant organochloré, dérivé de l’acide benzoïque. Sa première commercialisation date de 1967, aux Etats-Unis. Il est autorisé dans de nombreux pays, dont ceux de l’Union européenne et la Suisse.
En agriculture, il est utilisé dans les cultures de céréales, maïs, sorghum, prairies et pâturages, roseau de Chine, jachère. Il est également pulvérisé contre les arbres et les arbustes, ainsi que sur les gazons.
Monsanto est le plus grand producteur de dicamba du monde, suivi par BASF, Changqing Agrochemical, DuPont, Syngenta et Yangnong Chemical.