Au printemps, Jean aurait eu 16 ans: il est décédé d’une hépatite fulminante début janvier, après avoir attendu, trop longtemps, une greffe du foie. La petite Tanja, elle, a aujourd’hui 3 ans: elle a failli mourir à l’âge d’un an d’une grave maladie, mais une transplantation du foie lui a sauvé la vie.
Jean est tombé malade peu avant Noël. Cet adolescent sportif, en pleine santé, était soudain fatigué, souffrait de vertiges, de nausées et avait perdu l’appétit. Même s’il est hospitalisé, son état n’était pas alarmant au début. Mais, alors qu’on cherchait encore l’origine de sa maladie, elle s’est vite aggravée. Epuisement, nausées, impossibilité de se nourrir, reins défaillants nécessitant une dialyse, troubles neurologiques…, le mal avançait inexorablement, d’autant que rien ne peut se substituer temporairement à un foie dysfonctionnant.
Après un premier transfert, au CHUV à Lausanne, Jean a ainsi dû être amené aux soins intensifs du HUG (Hôpital universitaire de Genève), spécialisé dans les greffes de foie pour les enfants. Mais il a fallu attendre que sa fonction hépatique et d’autres paramètres soient réduits à un seuil minimum avant que l’adolescent soit inscrit sur la liste d’attente des receveurs d’organe, car les conditions nécessaires pour pouvoir y figurer sont très strictes.
Après une autre attente de plus de 72 heures, la bonne nouvelle est enfin tombée: on avait trouvé un donneur. L’examen au scanner ayant montré que son cerveau n’avait pas encore subi de dégâts irréversibles, Jean a pu être greffé avec succès. Mais il ne se réveillera pas après cette opération. Le lendemain, il est en état de mort cérébrale (lire plus loin). La greffe est probablement intervenue un jour trop tard.
Vies sauvées
Les parents de Jean avaient décidé que si leur fils ne survivait pas, ils feraient don de ses organes: «Il avait une carte de donneur sur lui depuis qu’un enseignant l’avait sensibilisé à la question», expliquent-ils.
Aujourd’hui, plusieurs personnes vivent encore grâce aux organes de Jean: deux enfants ont reçu ses reins, un autre patient a reçu le foie qu’on venait de lui greffer, et un autre ses poumons. Les valves de son cœur vont servir à soigner trois enfants atteints de souffle au cœur, tandis que les cellules de son pancréas permettront à des personnes diabétiques de vivre sans insuline.
C’est grâce à un tel don que la petite Tanja, aujourd’hui âgée de 3 ans, a survécu à une maladie décelée peu après sa naissance. A peine âgée de 2 mois, le bébé subit une première intervention chirugicale pour tenter d’élargir ses voies biliaires, qui empêchent la bile de bien s’écouler du foie, risquant de le détruire à moyen terme. Mais l’opération n’améliore pas son état. Les médecins doivent envisager une transplantation. Après une batterie d’examens au HUG de Genève, il a fallu quelques semaines avant que Tanja soit inscrite sur la liste d’attente d’un foie.
Alors âgée d’un an, elle ne pesait que 7 kilos. «Son état était stabilisé, mais pouvait se détériorer d’un jour à l’autre, fatalement», raconte Silvio Corti, son père. Evelin, sa mère, devait rester atteignable
24 h sur 24, et il fallait préserver la fillette, fragile, d’autres maladies. Sa famille, y compris sa grande sœur, alors âgée de
3 ans et demi, a vécu presque recluse à son domicile.
Quelques semaines plus tard, on trouve enfin un donneur et Tanja peut être transplantée. Elle passera encore de longues semaines à l’hôpital. Et ce n’est qu’une fois de retour à la maison qu’elle retrouvera sa joie de vivre.
Pourtant, peu après, elle devra subir encore une intervention de plusieurs heures, avec succès. «Aujourd’hui, elle est en pleine forme, se réjouit sa mère. Je pense tous les jours a la famille du donneur qui a permis de sauver notre fille, et je la remercie d’avoir accepté de faire ce don.»
Chaque année, plusieurs centaines de personnes attendent un don d’organes en Suisse. Ils étaient 1209, dont 37 enfants, en 2003. 491 d’entre eux ont pu être transplantés, mais au 1er janvier 2004, 641 malades étaient encore sur la liste d’attente de Swisstransplant(1), la fondation chargée de la coordination des transplantations dans notre pays. Cinquante-cinq patients étaient décédés faute d’avoir reçu un greffon à temps.
Ces chiffres rappellent cruellement que la Suisse est le pays européen qui compte le moins de donneurs d’organes. C’est pourquoi les parents de Tanja ont tenu à raconter ce qu’ils ont vécu. Tout comme les parents de Jean ont accepté de témoigner si peu de temps après avoir perdu leur fils.
Réticences
«Lorsque les médecins ont parlé la première fois de transplantation, nous ne savions pas grand-chose sur
le don d’organes», se rappelle le père de Tanja. «Le public ignore encore largement ce sujet», déplore Susanne Klinger coordinatrice chez Swisstransplant. Ignorance à laquelle s’ajoutent diverses craintes:
• Peu de gens sont prêts à penser à leur mort, à celle de leurs proches, et encore moins à celle de leurs enfants, lorsqu’ils sont en bonne santé. Pourtant, comme le remarque Emmanuel, le père de Jean: «Il vaut mieux avoir réfléchi au don d’organes et en avoir discuté en famille avant que n’arrive une situation d’urgence.» «Connaître le désir d’un proche à l’avance rend moins difficile le moment où, alors qu’on vient d’apprendre son décès, on doit décider si l’on veut donner ses organes», ajoute Silvio, le père de Tanja, aujourd’hui membre de l’Association de parents d’enfants greffés du foie(2).
• Certaines personnes craignent de ne pas recevoir tous les soins possibles s’ils ont une carte de donneur. Or, les directives en matière de transplantation(3) stipulent clairement que, jusqu’à la constatation de la mort, «tous les soins et actes médicaux prodigués au patient mourant doivent servir l’intérêt de celui-ci».
• Autre peur: que le donneur ne soit pas encore décédé au moment du prélèvement. Or, là aussi, les directives sont très strictes. On ne peut le faire que si le décès a été constaté par une large série d’examens médicaux, et par deux médecins différents. En aucun cas, les médecins d’une équipe de transplantation ne prennent part à ce constat.
Insaisissable mort cérébrale
Reste que, du point de vue humain, la mort cérébrale est un concept difficile. Comment concevoir qu’un proche qui respire encore (grâce à des machines) et dont on voit toujours le cœur battre est déjà mort?
C’est souvent très difficile à saisir, même quand on sait que le cerveau contrôle tout l’organisme (cœur, poumons, etc.) et que son arrêt définitif entraîne la mort.
Comme l’explique la mère de Jean: «Je savais ce qu’était la mort cérébrale, mais ce n’est qu’en voyant le scanner du cerveau de Jean que j’ai compris qu’il était vraiment parti.»
C’est alors, que les parents ont annoncé aux médecins qu’ils souhaitaient faire don des organes de Jean. «Jamais nous n’aurions pu imaginer laisser définitivement perdre son cœur et ses autres organes sains. Après l’avoir soutenu au maximum durant sa maladie, donner ses organes était la dernière chose que nous pouvions faire pour lui.»
Ellen Weigand
(1)Brochures d’information gratuites, à commander sur:
www.swisstransplant.org ou au
(0800 570 234 (gratuit).
(2)www.evlk.ch
(3)«Directives médico-éthiques pour le diagnostic de la mort dans le contexte de la transplantation d’organes», de l’Académie Suisse des Sciences Médicales.
