Notre rédaction a lancé un appel à volontaires et envoyé 35 échantillons sanguins en laboratoire. Hommes ou femmes, de 7 à 89 ans, en ville et à la campagne, les profils étaient très variés. Résultat: l’ensemble des personnes présentait une contamination aux PFAS. Ces substances chimiques nocives ont été énormément utilisées dans les poêles en téflon, vêtements imperméables et revêtements de skis. Aujourd’hui, on en retrouve disséminés partout dans la nature. Enquête.
Le sang d’une habitante de Schaffhouse de 76 ans présentait un taux beaucoup trop élevé de PFAS dans le sang. Il s’agissait de l’échantillon le plus chargé de notre enquête. Au point que le chimiste cantonal schaffhousois et l’inspecteur des produits chimiques du canton lui ont rendu visite pour découvrir comment ces polluants se sont retrouvés en telles quantités dans son corps. Sachant que cette retraitée souffre, en plus, d’un taux de cholestérol trop élevé et a dû être opérée pour une maladie cardio-vasculaire. Des effets secondaires connus pour les contaminations aux PFAS.
Fertilité réduite et poids de naissance trop faible
Le laboratoire zurichois Medica a examiné nos échantillons, en provenance de 18 cantons. Seuls 3 des 35 participants à cet échantillon aléatoire avaient un taux de PFOA et de PFOS dans le sang suffisamment bas pour ne pas craindre de conséquences graves sur la santé. Cette estimation se base sur l’évaluation de l’Office fédéral allemand de l’environnement, plus sévère que la Suisse en la matière. Les normes tolérées dans l’eau potable suisse sont jugées obsolètes et en cours de révision. Elles baisseront drastiquement dès 2026, pour rejoindre les normes européennes et nécessiteront de profonds assainissements de l'approvisionnement en eau.
Selon l’Office allemand, «des effets néfastes sur la santé ne sont pas à exclure» pour les 29 personnes testées, avec de hauts taux de PFOS. Chez trois d’entre elles, ces valeurs nécessiteraient «une action urgente pour réduire l’exposition» à la pollution. Le sang de quatre autres participants était en outre contaminé par des quantités élevées de PFOA.
Parmi les personnes fortement affectées, Léa*, 36 ans, habitante de Genève. Son taux de PFOS est inquiétant, pour une femme en âge de procréer. Il peut réduire la fertilité et entraîner un poids plus faible du bébé à la naissance.
Les parents de Nina*, 9 ans, et Tim*, 7 ans exigent pour leur part de la transparence: «Nous ne pouvons pas protéger nos enfants tant que nous ne savons pas où se trouvent les PFAS.»
Une piste éventuelle: trois personnes fortement contaminées habitent dans des fermes transformées et la quatrième a grandi dans une ferme. Simple coïncidence? Pour en avoir le cœur net, le chimiste cantonal schaffhousois, a réalisé plusieurs prélèvements dans la ferme d’Eva. Apprenant que la maison voisine a brûlé par le passé, il explique aussi que la mousse parfois utilisée par les pompiers contient des PFOS. Une étude de l’Office fédéral de l’environnement constate que de nombreuses nappes phréatiques ont été contaminées par ce biais en Suisse. Seule solution aux yeux de l’expert: « Les PFAS doivent être interdits.
Limiter les PFAS dans le sang
Alors que faire pour limiter son exposition aux PFAS? Comme les PFAS ne se dégradent pas, la pollution de l’environnement ne diminuera pas pendant une période indéterminée, peut-être même pendant des siècles.
Dans le meilleur des cas, il est possible de réduire l’absorption de ces substances. Même en restant vigilant, les concentrations dans le sang ne diminuent que lentement. Et une faible exposition présente déjà un risque de cancer, relève Martin Scheringer, chimiste spécialiste de l’environnement à l’EPFZ (Ecole polytechnique fédérale de Zurich). Lui aussi appelle à une meilleure protection contre ces substances: «Les sources de PFAS doivent être éliminées et les autorités doivent mieux protéger la population, en les interdisant. L’eau potable et les aliments devraient en être exempts.»
Sabine Rindlischbacher / ld
* Prénom d’emprunt
Les PFAS, grande famille de polluants depuis 1940
Le terme PFAS désigne une large famille, celle des «substances per- et polyfluoroalkylées», dans laquelle on trouve entre autres des PFOA, des PFOS (lire ci-dessous) et des PFHxS. Depuis les années 1940, l’industrie les utilise pour la production de poêles antiadhésives, de textiles, de cosmétiques... Et même de collyres pour les yeux. Ces polluants s’accumulent dans les eaux, la terre, la nourriture et le corps humain. La moitié des eaux souterraines en Suisse est contaminée.
La Suisse est en retard sur les valeurs maximales tolérées et les interdictions, qui ne s’appliquent qu’à un nombre infime de PFAS. Certains, comme les PFHxS ne sont interdits en Suisse que depuis 2022.
Ces substances ne se décomposent pas dans l’environnement. Elles s’accumulent dans les organes et peuvent rester dans le corps pendant des décennies. Elles perturbent le système hormonal et immunitaire humain, augmentent le taux de cholestérol ainsi que le risque de maladies cardio-vasculaires ou d’endommager le foie.
Les PFAS pénètrent dans l’organisme par l’alimentation, la respiration et la peau. Les enfants sont déjà exposés à ce poison industriel pendant la grossesse et les nourrissons en absorbent dans le lait maternel.
PFOA
Pour «acide perfluorooctanoïque». Substance suspectée de provoquer des formes de cancer et de nuire aux fœtus, selon l’Institut allemand d’évaluation des risques. Elle est considérée comme cancérigène. Utilisation «strictement réglementé» en Suisse depuis juin 2021.
PFOS
Pour «acide perfluorooctanosulfonique». Substance suspectée de provoquer des formes de cancer et de nuire aux fœtus, selon l’Institut allemand d’évaluation des risques. Elle est considérée comme potentiellement cancérigène. Utilisation interdite en Suisse depuis 2011.