Dix ans à peine après son introduction, la survie de l’euro, dans sa forme actuelle, ne semble plus aller de soi. «Il y a 50% de chances pour que la zone euro s’effondre dans les trois à cinq ans», a déclaré récemment Nouriel Roubini, l’économiste américain connu pour avoir prédit la crise financière de 2008. Incongrue il y a peu encore, l’hypothèse de sa disparition est aujourd’hui discutée jusque dans les cercles les plus respectables!
Les ministres des Finances britanniques et israéliens ont ainsi indiqué être préparés au pire. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) envisage également ce scénario dans son dernier rapport semestriel. En rappelant, toutefois, qu’«il y a peu de chances pour qu’il se matérialise».
Du côté des grandes banques, enfin, on s’est «amusé» à décortiquer les possibles conséquences d’un éclatement de l’Union monétaire. Citigroup estime désormais à 50% la probabilité que la Grèce quitte la zone euro au cours des dix-huit prochains mois, contre 25% à 50% quelques mois plus tôt. UBS, de son côté, chiffre le coût du retrait d’un pays faible (la Grèce, par exemple) entre 9500 et 11 500 euros par habitant du pays sortant (enfants compris) la première année, soit entre 40% et 50% de son PIB. Compter 6000 à 8000 euros pour un pays fort comme l’Allemagne (20% à 25% du PIB).
Monnaies dévaluées
La Banque japonaise Nomura a, elle, évalué les conséquences d’une explosion totale de la zone euro. Le retour aux monnaies nationales se traduirait, selon elle, par de fortes dévaluations: une fois ressuscitée, la drachme grecque plongerait de près de 60% par rapport au dollar. La dépréciation atteindrait 47% pour l’escudo portugais, 35% pour la peseta et 27% pour la lire italienne. Seul le mark allemand tirerait son épingle du jeu (+1,36%), ce qui n’est pas suffisant pour avoir un impact significatif sur l’économie du pays.
Quant à la Banque nationale suisse, elle reconnaît, à demi-mot, s’être aussi penchée sur la question. «Nous avons envisagé toutes les situations, admet sa porte-parole, Silvia Oppliger. Le scénario d’une disparition totale ou partielle de l’euro n’ayant toutefois pas été retenu, nous ne commentons pas plus avant.»
Pertes financières
Il n’empêche: si un ou plusieurs pays abandonnaient la monnaie unique, quelles seraient alors les conséquences pour les investisseurs suisses qui détiennent des obligations en euros? Seront-elles converties dans les nouvelles devises nationales ou, au contraire, honorées en euros? La question est complexe, la réponse l’est tout autant. Sans compter qu’aucune procédure n’est prévue pour quitter la zone euro*.
La majorité des emprunts d’Etat sont soumis au droit du pays qui les a émis. En revanche, de nombreuses obligations d’entreprises ou de banques dépendent de juridictions étrangères, anglaise et new-yorkaise principalement. Si, par exemple, la Grèce revenait à la drachme, les obligations d’Etat helléniques, émises avant (en euros, donc) et soumises à la législation grecque, devraient théoriquement être converties dans la nouvelle devise nationale à un taux défini par la nouvelle loi monétaire du pays. Et forcément dévaluée par rapport à l’euro qui continuera d’exister parallèlement dans les autres pays de l’union monétaire. Les pertes enregistrées par les détenteurs de ces obligations seront alors à la hauteur de la dévalorisation de la monnaie. Et les intérêts accumulés ne suffiront probablement pas à les compenser.
Alternative: s’il est établi que lesdites obligations ont été émises dans le but de les vendre à des banques et à des investisseurs établis dans d’autres pays de l’Union européenne, elles pourraient devoir être honorées en euros. Seules les obligations destinées au marché domestique seraient alors converties en euros.
La situation semble moins problématique pour les obligations dépendant d’une juridiction différente du pays qui sortirait de la monnaie unique: les spécialistes s’accordent à dire qu’elles auraient plus de chances d’être exécutées en euros. A moins que la zone euro n’implose totalement…
Chantal Guyon
Bonus web: «Sortir de la zone euro»