C’est sans doute l’une des plus incroyables success-story du monde moderne. Depuis sa chambre d’étudiant à Harvard, Mark Zuckerberg crée un réseau social qui va révolutionner les relations sur le web. Huit ans plus tard, Facebook compte 845 millions d’inscrits, affiche un bénéfice net de 1 milliard de dollars en 2011 et annonce son entrée en Bourse. Selon les analystes, la valorisation boursière de l’entreprise pourrait atteindre 100 milliards de dollars!
A ce prix, Zuckerberg, qui détient près de 30% de la boîte, pèsera à lui seul près de 30 milliards de dollars. Une fortune gigantesque constituée en moins d’une décennie par un gamin âgé aujourd’hui de 27 ans. Ce succès sidérant fait rêver, et de nombreux petits investisseurs se disent sans doute que, en achetant des actions, ils pourraient bien, eux aussi, toucher le jackpot.
Sous-performance des IPO
Plus terre à terre, les spécialistes que nous avons contactés délivrent un message de prudence.
Amit Goyal, professeur de finance à HEC Lausanne, rappelle ainsi que la plupart des compagnies qui ont procédé à une introduction en Bourse (IPO) ont sous-performé le marché américain. Une étude effectuée récemment sur 35 entreprises suisses entrées en cotation entre 2006 et 2011 aboutit au même constat: les actions de 28 d’entre elles affichaient, le 4 mars 2012, une valeur inférieure à celle de leur cours d’introduction.
Le destin funeste de certaines ex-stars du web incite tout autant à la prudence. «Souvenez-vous de Myspace, qui est passé du statut de premier grand réseau social à presque rien», prévient Salvatore Cantale, professeur de finance à l’IMD de Lausanne. Myspace, Netscape, Yahoo! ou encore theglobe.com, autant de sites qui ont connu un décollage boursier fulgurant, avant de s’écraser pitoyablement ou de tomber dans un quasi-oubli.
A contrario, l’action Google, qui a fait son entrée au Nasdaq à 100 dollars en août 2004 se négociait à près de 640 dollars le 3 avril 2012. Mais LinkedIn, autre poids lourd actuel du web, affiche un bilan plus mitigé. Lors de son introduction le 19 mai 2011, le titre valait 83 dollars à l’ouverture, montait jusqu’à 122 dollars le même jour, avant de jouer au yoyo. Le 3 avril 2012, il se négociait autour de 102 dollars.
Le défi: créer de la valeur
«Mark Zuckerberg est très talentueux, mais sera-t-il capable de faire en sorte que l’activité des utilisateurs de Facebook crée de plus en plus de valeur? C’est là tout le challenge», avertit Salvatore Cantale.
«Une fois cotée en Bourse, une société ne doit pas décevoir, confirme Michel Donegani, CEO de Prisminvest SA à Morges. Après l’euphorie du début, il faut constamment combler les attentes du marché, pour que le titre s'apprécie. Facebook n’aura pas le droit à l’erreur sur sa croissance. Une nouvelle moins bonne qu'attendue par le marché et le titre peut perdre très rapidement une bonne partie de sa valeur.»
Norman Schürhoff, professeur de finance à HEC Lausanne, rappelle, quant à lui, que le bénéfice 2011 de l’entreprise est certes de 1 milliard de dollars, mais que la capitalisation boursière pourrait atteindre 100 milliards de dollars. «Pour justifier une valorisation aussi élevée, il faudra maintenir une croissance annuelle de 10% du cash-flow. Cela semble optimiste.» Ce d’autant plus que les dangers qui guettent le réseau social sont nombreux: concurrence, évolution potentielle des lois sur la protection des données personnelles, risques de procès, piratages…
Acheter ou pas
Arturo Bris souligne que les hauts dirigeants de Facebook ne pourront sans doute vendre leurs actions que six mois après l’introduction du titre (principe du lock-up). L’augmentation de l’offre qui pourrait alors en résulter peut faire baisser le cours. «Si un investisseur décide d’acheter des actions Facebook, il devrait alors les conserver moins de six mois», estime le professeur de finance à l’IMD.
Pour Amit Goyal, il serait judicieux de ne pas acheter d'actions le premier jour de cotation lors duquel elles risquent de prendre d'ascenseur, mais plutôt de suivre l'évolution du cours pendant quelques mois avant de se décider.
De son côté, Michel Donegani estime que nous sommes actuellement au stade de la spéculation et que «tout peut arriver». En constatant néanmoins que Facebook est condamné à une croissance extrêmement élevée, le CEO de Prisminvest rappelle que, avec cette introduction, on entre dans le domaine du jamais vu. Le réseau compte 845 millions de membres, ce qui constitue un gigantesque réservoir d’acheteurs potentiels.
Sébastien Sautebin