René Déran apprécie le vin, mais jamais il n’en achèterait par téléphone. Ni lui, ni son épouse, d’ailleurs. En début d’année, pourtant, ce lecteur neuchâtelois de Bon à Savoir reçoit un coup de fil d’un représentant des «Vignerons réunis» lui annonçant que la commande passée par sa femme, par téléphone, était prête à être livrée. Facture: 368.95 fr. pour six bouteilles, soit 61.50 fr. pièce. La méthode est malhonnête. Elle n’est pas nouvelle, mais continue à faire des victimes.
Certain de ne pas avoir commandé ce vin, notre lecteur a vite flairé l’arnaque. La facture qu’il reçoit en deux exemplaires alimente ses soupçons. Sur ces documents, le bordeaux Château Bel Air qu’on essaie de lui vendre est mal orthographié: «saint million 2019», puis «saint emillion» (au lieu de saint-émilion).
René Déran a beau refuser de payer, son interlocuteur ne relâche pas la pression. Il insiste, rappelle, prétend avoir entendu l’enregistrement lors duquel sa femme a passé commande et menace même d’engager des poursuites…
Tactique rodée et agressive
Cette tactique agressive est bien rodée. Notre magazine a, plusieurs fois, dénoncé ce type d’arnaque ces dernières années (lire «Bouchon Doré: le vin des charognards» sur bonasavoir.ch).
Les pseudo-marchands se cachent derrière une entreprise (parfois plusieurs), souvent bidon. La mésaventure de René Déran le confirme. Après l’appel des Vignerons réunis, il a reçu des factures à l’en-tête de Cœur de Vigne et un e-mail en provenance des Familles des grands vins. Cette entreprise a été dénoncée il y a deux ans par la chambre de commerce et d’industrie France Suisse pour avoir utilisé son nom de manière abusive. L’information figure sur internet et notre lecteur la repère, ce qui le conforte dans l’idée qu’il est bel et bien victime d’une arnaque. Il en sera absolument certain après avoir contacté le Château Bel Air: là, on lui assure ne pas connaître le vendeur et ne pas pratiquer la vente par téléphone.
En Valais, un domaine viticole porte le nom de Cœur de Vigne. Sa propriétaire assure n’avoir rien à voir avec ces méthodes de vente et se réserve le droit de porter plainte pour usurpation d'identité.
Le ou les individus à l’origine de cette arnaque au vin se servent de coordonnées aussi nombreuses que déconcertantes. Selon le cachet de la Poste, le courrier reçu par notre lecteur a été expédié par Les enfants de Bacchus, dont l’adresse renvoie à un centre d’espaces de travail à Préverenges (VD). Sur place, on confirme que l’entreprise en question y possède une «business adresse», mais pas de représentant en chair et en os.
Paris, Place Vendôme
Sur les factures, le numéro de téléphone indiqué aboutit en France, alors qu’il est assorti d’un e-mail suisse. L’adresse postale, elle, se situe à Paris, proche de la place Vendôme, entre la très chic boutique StellaMcCartney et le chocolatier de luxe Jean-Paul Hévin. C’est surtout là que réside une société de domiciliation d’entreprises, qui fournit une adresse administrative – autrement dit une boîte aux lettres – contre rémunération.
Quant à l’IBAN sur lequel régler la facture, il correspond à un compte de la banque Revolut dont le bénéficiaire (Jean-Jacques D.) porte un patronyme récemment mentionné dans une enquête de la radio alémanique SRF sur une arnaque… au vin.
Ce type de méthode de vente malhonnête continue donc à faire des victimes en Suisse romande. Le Ministère public jurassien nous a, par exemple, confirmé avoir été saisi de plusieurs plaintes pour escroquerie et tentative d’escroquerie en lien avec la vente de vin.
René Déran, lui, a pu couper court aux velléités du marchand de vin, après s’être rendu à la gendarmerie de La Chaux-de-Fonds. Sur place, il a raconté son histoire. La police l’a recontacté un peu plus tard. Entre-temps, l’agent avait appelé le vendeur qui acceptait de déchirer la facture, prétextant une erreur…
Article modifié le 21.03.25
En cas d’appel pour une commande fictive
➛ Signaler qu’aucune commande n’a été passée et refuser la livraison. Si les appels persistent, bloquer le numéro.
➛ Si le vin est livré malgré tout: informer par écrit la société qu’aucune commande n’a été passée, que la facture ne sera pas payée et que la marchandise est à sa disposition pour qu’elle vienne la récupérer dans un délai de 15 jours. Envoyer de préférence un recommandé.
➛ Ne pas renvoyer la marchandise: l’expéditeur pourrait faire preuve de mauvaise foi et affirmer n’avoir rien reçu. Si la société ne vient pas récupérer les articles dans le délai, le destinataire peut en disposer.
➛ Si l’entreprise engage des poursuites (ce qui est peu probable): faire opposition dans les 10 jours. Elle ne pourra faire lever cette dernière qu’en apportant la preuve de la commande.