«Vivre dans un appartement de 120 m2, si près de Genève, c’est un privilège.» Depuis la terrasse, le lac Léman se reflète dans les yeux d’Annabelle Blaser*. Elle et Claude-Alain, son mari, ont accédé à la propriété il y a un peu moins de vingt ans, au moment où le marché immobilier se cassait la figure à Nyon. «Nous avons sauté sur l’occasion, ajoute Claude-Alain, car nous savions qu’une telle opportunité ne se représenterait plus.» A l’époque, l’investissement leur avait paru judicieux, même si les enfants étaient encore petits. Depuis, la progéniture s’est émancipée et les Blaser attendent de devenir grands-parents.
Une charge en moins
La retraite approche en effet pour Claude-Alain, 55 ans, qui est cadre dans une entreprise industrielle. Il n’est pas certain de vouloir rester actif jusqu’à 65 ans, d’autant moins qu’il supporte mal le stress professionnel. Sa femme travaille à l’aéroport de Cointrin, mais seulement à temps partiel. Son père vient de décéder, lui laissant près de 250 000 fr. en héritage.
Pour avoir moins de soucis, le couple souhaiterait se débarrasser d’une bonne partie des 400 000 fr. d’hypothèque, qui leur coûte environ 12 000 fr. l’an.
Pourtant, ils ne tirent pas le diable par la queue: leurs revenus annuels cumulés atteignent 153 062 fr. net. Et ils ont aussi de l’argent de côté (voir tableau). Alors, la peur est-elle bonne conseillère? Pas sûr, selon Roland Bron, directeur pour la Suisse romande de VZ VermögensZentrum: «Les dépenses de logement vont diminuer si le couple rembourse son hypothèque, c’est certain. Par contre, l’impôt sur le revenu va prendre l’ascenseur, car les intérêts hypothécaires déductibles du revenu imposable baisseront. La valeur locative, assimilable à un revenu, reste la même et sera imposée comme telle.»
Placer, mais à quel taux?
Le problème est donc simple. Il peut être résumé en une seule question: est-il préférable de placer le capital de l’héritage ou de l’utiliser pour réduire l’hypothèque? «Si le capital rapporte plus que l’hypothèque ne coûte, répond Roland Bron, un remboursement ne fait pas sens. Dans le cas contraire, mieux vaut se débarrasser de l’hypothèque.»
Côté chiffres, le dilemme est exposé dans le diagramme de la page 8. Il semble donner un (léger) avantage au placement, pour autant qu’Annabelle et Claude-Alain acceptent de prendre quelques risques. Cependant, ils auraient tort de se précipiter pour se débarrasser de leur hypothèque, car il faut encore compter avec les exigences du fisc! Passons sur la page 9, où sont disséqués trois revenus imposables (voir tableau).
- Le premier représente la situation des Blaser avant de toucher l’héritage: ils payaient 27 486 fr. d’impôts pour un revenu imposable de 132 332 fr.
- Le deuxième inclut l’héritage de 250 000 fr., placés en obligations et en actions rapportant 4%. Mais 2% seulement de ce rendement sont imposables, soit 5000 fr. (coupons des obligations et dividendes des actions); les plus-values ne le sont pas. Les impôts vont se monter à 29 100 fr., pour un revenu imposable de 136 957 fr.
- Le troisième retient l’hypothèse inverse: le couple profite de l’héritage pour bazarder une partie de l’hypothèque, faisant chuter les intérêts hypothécaires de 12 000 fr. à 4500 fr. Du coup, l’administration fiscale du district de Nyon leur enverra un bordereau de 30 167 fr. pour un revenu imposable de 139 832 fr. Soit 1067 fr. de plus que dans le cas de figure précédent.
A peine 1000 fr. de différence, voilà qui remet tout en question… Comment savoir quel est le placement adéquat?
Une question de profil
«Il faut définir un profil d’investissement», estime Roland Bron. Et son expérience le pousse à déconseiller aux Blaser d’amortir l’hypothèque, pour plusieurs raisons. D’abord, Claude-Alain, qui occupe un poste bien rémunéré, peut se permettre de prendre des risques, surtout s’ils sont mesurés. Ensuite, le marché des actions est descendu en vrille ces derniers mois: le moment est donc venu, selon l’expert, de s’y intéresser à nouveau, avec un horizon de cinq à dix ans: un mélange d’actions et d’obligations ferait donc très bien l’affaire, surtout que les Nyonnais y avaient déjà placé quelques économies. D’autant que le remboursement de la dette est susceptible de limiter leur marge de manœuvre financière au moment de la retraite, quand leurs revenus se tasseront.
Rappelons à cet égard que l’hypothèque est réputée viable aussi longtemps que les dépenses courantes (intérêts hypothécaires, charges d’entretien et amortissement) totalisent un tiers des revenus des pensionnés.
Avec l’argent dont il dispose, le couple pourrait réduire encore sa facture fiscale en ouvrant un compte de prévoyance liée en faveur d’Annabelle. Pour sa part, Claude-Alain serait bien inspiré de racheter des cotisations LPP, en prenant soin de le faire sur deux ans, pour freiner la progression de l’impôt… et après avoir vérifié que sa caisse n’est pas en cours d’assainissement. «Mais, si vos lecteurs ne tolèrent plus aucun risque, conclut Roland Bron, ils doivent se défaire de leur hypothèque.»
En fin de compte, les Blaser suivront ses conseils et placeront l’héritage. «Je serai une grand-maman gâteau. J’aurai besoin d’argent pour pourrir mes petits-enfants!» lance Annabelle, mutine.
Massimo Oberti
*Noms fictifs.
Comment lire le graphique
Les Blaser paient un intérêt de 3% sur leur hypothèque de 400 000 fr. (1). En réalité, ils déboursent moins que 3%, car les intérêts sont déductibles de l’impôt. Le gain fiscal qu’ils réalisent est égal au taux marginal d’imposition de 34% dans leur cas, soit 34% de 3% = 1,02% (2). Il faut donc soustraire ce pourcentage pour connaître le coût net de l’hypothèque: 3% – 1,02%=1,98% (3). Pour qu’un placement financier vaille la peine, il doit par conséquent dégager – une fois l’impôt et les frais déduits – un rendement supérieur à 1,98%. Examinons quelles sont les possibilités de placement susceptibles de rapporter plus que ce pourcentage.
Ecartons d’emblée le compte épargne, dont le taux d’intérêt avoisine 1%, et duquel il faut encore ôter 34% d’impôt marginal. Il ne reste qu’un maigre 0,66% (4). Les obligations en francs sont à peine plus généreuses: sachant qu’elles offrent, en gros, 2%, on peut en tirer 1,32% (2%–(34% x 2%)) (5). En choisissant (4) ou (5) comme placement, impossible de générer un rendement plus élevé que 1,98%, le coût de l’hypothèque. Il faut donc se rabattre sur les obligations en euros (6), par exemple, pour engranger 2,64% (4% – (34% x 4%)), avec le risque du taux de change au moment de les convertir en francs. Les actions sont les seules à pouvoir produire un rendement annuel net moyen compris entre 6% et 7% (7) sur un horizon de dix ans. Cela dit, on peut aussi opter pour un panachage 50% actions et 50% obligations, pour un rendement approximatif de 4-5% sur le long terme (8).
Mais attention: comme nous le répétons souvent dans Tout Compte Fait, plus le rendement d’un placement financier est élevé, plus le risque s’accroît. Le cours des actions, par exemple, peut fluctuer sensiblement à court terme. Par ailleurs, la plus-value des actions est encaissée au moment où elles sont vendues, tandis que les intérêts hypothécaires doivent être payés à intervalles réguliers. Si les Blaser choisissent l’option du placement, ils doivent donc être en mesure d’honorer leurs échéances, même sans le produit des titres.
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