Rosé et gamay. L’un comme l’autre font glousser une frange d’œnophiles. Le rosé ne serait bon qu’à colorer les apéros (lire encadré). Le gamay, lui, serait un cépage roturier par la faute de son insoutenable légèreté. Avec des visions aussi réductrices, difficile d’imaginer qu’un rosé produit à base de gamay puisse faire des émules. Et, pourtant, rarement les notes attribuées par nos dégustateurs n’ont été aussi élevées!
Pas moins de cinq des douze vins dégustés à l’aveugle ont récolté 15 points ou plus (voir tableau). Un résultat d’autant plus singulier que le prix des bouteilles était globalement modeste: entre 5.50 fr. et 14.50 fr. Comme la plus onéreuse termine au 2e rang et la moins chère en queue de classement, on pourrait déduire que le prix est le miroir de la qualité. Mais cette hypothèse, la grande gagnante prend un malin plaisir à la briser, elle qui ne coûte que 6.40 fr.
Les AOC derrière…
Il n’y a pas que son prix qui rende sa note de 16.5 aussi inattendue. Il y a également sa dénomination de «vin de pays» moins exigeante qu’une appellation d’origine contrôlée. A l’aveugle, toutes ces considérations théoriques ont l’avantage de ne pas conditionner les membres du jury. Qui, sans exception, ont apprécié l’Esprit d’or produit par la Cave de Genève: «C’est un ensemble charmeur, bien équilibré et avec une belle longueur», note Arnaud Scalbert.
Au second rang, le Rosé de gamay bio du Domaine de La Croix, à Bursins (VD), a lui aussi fait l’unanimité. C’est un vin certes moins gourmand, au style plus tendu, mais à l’équilibre subtil. «Le nez, sur le fruit, est très plaisant. L’attaque est vive, suivie d’une belle fraîcheur en milieu de bouche», commente Richard Pfister.
Des 2015 un peu fatigués
Sur la troisième marche du podium, le Rosé de gamay genevois, produit par Le Clos de Céligny, dévoile un caractère souple et enjôleur qui s’acoquinerait bien avec des grillades. «C’est un vin au nez très élégant, avec des notes aussi bien florales que fruitées. La bouche est ronde, avec une belle longueur», relève René Roger. «Mais il doit être bu rapidement, prévient Richard Pfister. On sent une très légère fatigue.»
Ces très légères traces d’oxydation ont d’ailleurs été observées sur deux autres bouteilles: le Roscarmin et le Roses Vives. Elles indiquent que le vin commence à décliner et qu’une consommation rapide – dans l’année à venir – est souhaitable. Le point commun entre ces trois crus, c’est leur millésime: 2015. Preuve que, en règle générale, de tels rosés doivent être bus jeunes, surtout lorsque la récolte a été aussi «chaude» qu’en 2015.
Yves-Noël Grin
Eclairage
Le rosé s’invite à table
La consommation mondiale de rosé est en plein essor. On estime qu’elle a bondi d’environ 30% au cours des quinze dernières années. Phénomène qui touche pleinement la Suisse aussi: «On sent qu’il y a une demande croissante pour ce genre de vins, au moment de l’apéritif, bien sûr, mais également pour accompagner un plat», confirme Thibaut Panas, chef sommelier au Beau Rivage Palace de Lausanne.
A table, le rosé s’associe particulièrement bien avec la cuisine asiatique, qu’elle soit japonaise ou thaï. «Pour que de tels plats puissent s’exprimer, on a besoin d’un vin gouleyant, pas trop puissant et plein de fraîcheur. C’est pour cela que le rosé est un choix tout indiqué», commente Thibaut Panas.
Il se marie également très bien avec les viandes blanches (veau, volaille), la charcuterie (jambon, saucisson) et les salades estivales. Les crus les plus corsés accompagnent avec bonheur les grillades, notamment. Bref, le rosé a pleinement sa place à table. Et pas seulement à l’apéro.