Que serait une forêt-noire sans ses cerises? Fidèle à la recette originale, Marguerite Kolly (photo ci-dessous) en agrémente ses gâteaux depuis de nombreuses années. En janvier dernier, alors qu’elle mord dans une part de tourte qu’elle vient tout juste de confectionner, elle tombe sur un morceau dur et se casse net une dent. L’arme du crime est un noyau de cerise entier ayant échappé à la vigilance de la cuisinière, ce qui n’est guère étonnant: il provient d’une boîte vendue par Migros de bigarreaux dénoyautés. Notre lectrice se rend chez son dentiste, qui lui établit un devis qui avoisine les 2000 fr. Mais lorsque son assureur accidents, la CSS, est averti du dommage, il lui déclare qu’elle ne sera pas remboursée.
Pas un accident?
Au sens de la loi sur les assurances sociales, un accident est défini comme une «atteinte soudaine et involontaire portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire». Or, pour la CSS, cette clause n’est pas remplie, car qui mange une cerise doit s’attendre à trouver un noyau. Y compris s’il s’agit de fruits dénoyautés lorsque le fabricant a pris soin d’ajouter un message d’avertissement sur la boîte. Et c’est le cas ici: en petits caractères, on peut lire que «malgré le soin apporté à la confection du produit, il est possible que des débris de coques s’y soient glissés».
Un avis défendu par les assureurs, mais que ne partage pas le Tribunal fédéral! Dans un arrêt d’avril 2011, celui-ci a débouté l’un d’eux – et désavoué le Tribunal cantonal fribourgeois – dans une affaire très similaire: il refusait de rembourser une dent cassée sur un noyau dans un pain aux olives, confectionné par la victime à partir d’un sachet d’olives dénoyautées. «L’expérience générale de la vie enseigne qu’un tel emballage ne contient, en principe, pas de noyaux», estiment les juges fédéraux. Dès lors, même si un risque résiduel existe toujours, et quand bien même il est signalé, le fait qu’on ne puisse pas l’exclure totalement ne suffit pas à dénier le caractère extraordinaire de la présence d’un noyau. Autrement dit, il s’agit bien d’un accident au sens de la loi.
Dénoyautées que d'un côté!
Nous avons confronté la CSS à cette jurisprudence, mais l’assureur n’en démord pas: dans le cas présent, accident il n’y a pas… car un pépin supplémentaire se glisse dans la problématique. La mention «dénoyautées» ne figure plus dans la dénomination de l’article sur le devant de la boîte, mais derrière, du même côté que l’avertissement qui signale l’éventuelle présence de débris. «Or, si la victime a pu prendre connaissance de cette information, elle aura aussi immanquablement pu lire l’avertissement», conclut l’assureur, qui a refusé de changer d’avis. Selon lui, le fait qu’il s’agisse, ici, d’un noyau entier et non d’un débris n’y change rien.
Perplexe, Marguerite Kolly est pourtant persuadée que la boîte comportait bien, en gros, la mention «dénoyautés» sur le recto. Elle l’a ensuite envoyée à son assureur, en compagnie du noyau incriminé. Or, la photo de l’emballage que la CSS nous a transmis montre qu’il ne figure qu’au verso… Y a-t-il eu méprise avec les cerises congelées M-Classic, qui, elles, ont bien le terme «dénoyautées» sur le devant?
Quoi qu’il en soit, la question demeure: dans une telle configuration d’étiquette, le consommateur doit-il, ou non, partir du principe qu’il est probable qu’un noyau puisse raisonnablement se trouver dans la boîte, et manger prudemment son contenu? Il faudra probablement une nouvelle décision des tribunaux pour trancher. D’ici là, les moyens d’opposition des assurés restent limités (lire encadré).
Vincent Cherpillod
Eclairage
Voies de recours
Lorsqu’une assurance refuse de prendre en charge les frais consécutifs à un accident, elle est tenue, en cas de litige, de rendre une décision écrite et sujette à recours. L’assuré a alors 30 jours pour faire opposition gratuitement. S’il découvre de nouveaux faits importants ou de nouveaux moyens de preuve, la décision doit être révisée. En l’occurrence, notre lectrice peut difficilement prouver la présence, en gros caractères, du terme «dénoyauté», étant donné qu’elle n’a hélas pas conservé de photo de l’emballage.
L’assuré peut aussi s’adresser à l’ombudsman de l’assurance privée et de la Suva ou à l’Office de médiation de l’assurance maladie dans le cas de notre lectrice retraitée. De nouveau, la procédure est gratuite. Si la médiation n’aboutit pas, la dernière option est de porter l’affaire devant les tribunaux civils. Mais là, le plaignant devra avancer les frais de justice et ceux d’un éventuel avocat, qu’il ne récupérera pas s’il n’obtient pas gain de cause.