On a tout entendu sur les conditions de travail des hard discounters. Salaires de misère, horaires aléatoires et autres reproches ont parsemé l’actualité, au moment où Aldi faisait son entrée en Suisse. Quatre ans plus tard, qu’en est-il vraiment?
Cette question, nous l’avons posée directement aux plus grands distributeurs (y compris à Lidl, déjà actif en Suisse alémanique et qui arrive ce mois de notre côté de la Sarine). Et les enseignes ont joué le jeu, en répondant à la plupart de nos questions sur leurs politiques sociales et salariales (voir tableau). Le tout a été soumis à l’œil expert de trois syndicats du secteur (lire encadré).
1. CCT: le nerf de la guerre
Dans la branche de la vente, qui emploie des dizaines de milliers de personnes, l’utilité d’une convention collective de travail (CCT) est indéniable. Une telle convention a pour avantage d’intégrer les syndicats aux négociations avec l’employeur et, surtout, de garantir la pérennité des conditions de travail. En effet, une CCT peut être fixée pour plusieurs années, durant lesquelles l’employeur ne peut revenir sur ses engagements.
Mais une convention collective ne garantit pas toujours les meilleures conditions. En effet, seuls Migros, Coop et Casino sont signataires d’un tel partenariat social et, pourtant, Casino ne figure pas parmi les plus avantageux.
2. Salaires et vacances
En matière de salaires, c’est justement Casino qui propose les plus bas, avec 3450 fr. par mois. La vraie surprise vient d’Aldi, qui offre le salaire minimum le plus élevé à 4067 fr. Migros, Coop et Manor sont à égalité avec 3700 fr. (à noter que ces salaires sont généralement plus hauts à Genève, en raison du coût de la vie élevé). Bon point: tous les distributeurs offrent un 13e salaire.
Les choses se gâtent lorsqu’on tient compte du nombre d’heures hebdomadaires. Denner, où les vendeurs sont astreints à 44 heures, est suivi de Lidl et d’Aldi avec 42 heures, puis tous les autres à 41 heures par semaine. Denner se rattrape toutefois un peu en offrant six semaines de vacances à tout le monde. Les autres distributeurs en donnent au minimum cinq (mais davantage en fonction de l’âge et jusqu’à 8 semaines chez Coop, dès 63 ans).
Détail non négligeable, seuls Migros et Coop majorent les heures de travail occasionnel en soirée. Par ailleurs, ils sont aussi les plus généreux en matière de réductions de prix sur la marchandise, avec Manor et Casino.
3. Arrêts de travail
Pour les congés maladie et maternité, les employeurs sont d’une générosité diverse. Migros est à la pointe dans ce domaine: 16 semaines de congé maternité payées à 100% (et même 18 semaines après 5 années de service), et aussi deux semaines pour les jeunes papas. A l’opposé se trouve Manor avec 16 semaines à 80% pour les mamans (soit à peine plus que le minimum légal qui, rappelons-le, est de 14 semaines
à 80%).
En cas de maladie prolongée, Migros montre encore l’exemple, en payant deux ans de salaire sans la moindre diminution. Coop et Casino paient 90% du salaire; Aldi, Denner, Lidl et Manor 80%, avec chacun des délais d’attente variable (nombre de jours de maladie à partir duquel l’employeur commence à diminuer le salaire).
Il faut néanmoins saluer le fait que tous les employeurs couvrent deux ans de salaire, alors que le minimum légal n’est que de trois semaines à quelques mois (selon l’ancienneté).
4. Caisse de pension
Migros, Coop et Manor sont les plus généreux en payant les deux tiers des cotisations salariales au 2e pilier. Seuls Casino et Denner s’en tiennent au minimum légal de 50%. Aldi et Lidl nous ont répondu qu’ils paient «plus de la moitié», mais ont refusé de préciser le taux exact.
Point complexe mais crucial pour les bas salaires et les temps partiels: la déduction de coordination. Celle-ci implique que les salariés touchant un revenu annuel inférieur à 23 940 fr. ne cotisent pas au 2e pilier. Bonne surprise ici: Aldi, Migros et Coop réduisent cette déduction pour les temps partiels. Denner et Lidl ne l’appliquent même pas du tout. Ces deux derniers employeurs sont ici particulièrement favorables, alors qu’ils figurent plutôt parmi les moins bons pour les autres critères comparés.
Yves-Alain Cornu
Pour télécharger le tableau comparatif des produits, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Avis des syndicats
Nous avons soumis notre enquête au regard expert de trois grands syndicats de la branche. Carlo Mathieu, secrétaire central de Syna, salue les efforts accomplis par Aldi et Lidl, «même s’ils agissent sans doute uniquement à cause de la pression médiatique». Luc Python, secrétaire central romand de la Société suisse des employés de commerce (SEC Suisse), constate que chaque distributeur peut et devrait encore améliorer ses conditions sur certains points. Aldo Ferrari, secrétaire régional d’Unia, rappelle que «seuls les salariés soumis à une CCT sont assurés de leurs droits. Pour tous les autres, cela tient de la déclaration d’intention, mais n’a aucun aspect contraignant devant un tribunal, en cas de non-respect».