Les grands distributeurs ne lésinent ni sur les mots ni sur les prix: «Véritable or du Maroc au goût intense de noisettes torréfiées» chez Coop, «Or liquide au léger goût de noix» chez Migros. Dans les deux cas, l’huile d’argan coûte presque 15 fr./dl et ces flacons ne sont pas les plus chers de notre sélection.
Avant d’analyser en laboratoire les dix échantillons que nous avons retenus, les experts ont apprécié leurs caractéristiques gustatives.
Après cette double analyse, leur constat est décevant: aucun des dix produits testés ne passe la rampe du «satisfaisant» et seules deux huiles reçoivent cette mention (voir tableau).
Un goût amer
Au niveau du goût, huit produits ont été perçus en bouche comme «aigres, caséeux
(de la nature du fromage), amers» (voir tableau). Seuls deux (Arganati et Sidi Yassine Morocco) s’en sortent un peu mieux avec une tonalité gustative «légèrement fumée». Cela tient à leur mode de fabrication traditionnel marocain, privilégiant la récolte manuelle des fruits des arganiers sauvages. Une fois leur écorce ôtée, les amandes sont très souvent torréfiées puis pressées pour en obtenir l’huile.
Les noyaux retrouvés dans les excréments des chèvres, qui se nourrissent de ces fruits, sont également pressés. Le goût de l’huile est alors plus prononcé, comme le confirme Bertrand Matthäus, de l’Institut allemand Max-Rubner: «L’aspect caséeux se ressent plus vite.»
Les teneurs élevées en peroxyde et en acides gras libres décelés dans plusieurs produits témoignent d’un manque de fraîcheur. L’huile berbère bio (non torréfiée), de Globus, en est la plus chargée (7,7 milliéquivalents/kg). Selon notre expert Bertrand Matthäus, on se trouve là «à l’extrême limite du rance». S’il n’y a aucune prescription pour les graisses d’origine végétale, la valeur maximale autorisée en graisses animales est de 4 méq/kg. Or, plusieurs bouteilles analysées affichent un taux supérieur (Sidi Yassine mild, Sélection et Argania). Le fabricant des huiles Sidi Yassine n’«a constaté aucun goût anormal» et ajoute qu’il n’aurait pas mis sur le marché une huile douce avec un tel taux de peroxyde. Le distributeur de l’Argania observe quant à lui que «l’huile d’argan est un produit gourmet au goût caractéristique».
Résidus
Autre constat peu réjouissant: le laboratoire a mis en évidence des résidus de benzopyrène dans sept échantillons. Cette substance, suspectée d’être cancérogène, apparaît lorsque l’on brûle ou lorsque l’on torréfie les amandes. Toutes les valeurs mesurées se situent en dessous des 2 microgrammes/kg, mais l’huile Berbère de Globus creuse toutefois l’écart avec ses concurrentes (1,2 mg/kg). Globus promet de «donner des instructions aux producteurs, afin qu’ils soient plus soigneux lors de la torréfaction».
L’huile d’argan est souvent présentée comme un produit particulièrement sain en raison des nutriments qu’elle contient.
Les prétendus bienfaits
Elle serait bénéfique pour les problèmes d’intestin, d’estomac, de cœur et de circulation, mais aussi en cas d’infections et de coups de soleil. Dans les faits, cette huile contient deux substances uniques: le schotténol et le spinastérol, dont l’utilité pour la santé n’est pas prouvée.
Même constat pour ce qui est de la vitamine E et des tocophérols, largement mis en avant par les fabricants. Or, les huiles analysées contiennent très peu des nécessaires alpha-tocophérol, mais sont surtout riches en gamma-tocophérol, bien moins intéressants pour l’organisme. Vanter la présence de vitamine E dans l’huile d’argan est donc carrément «trompeur» selon Bertrand Matthäus.
Argania réfute cette accusation car, selon la marque, ce corps gras contient trois à quatre fois plus de vitamine E que l’huile d’olives. Certes, mais cette dernière est précisément réputée pour en être pauvre.
Apport de l’huile d’argan en oméga
En termes d’acides gras, l’organisme a essentiellement besoin d’un apport en acide gras non saturés, en particulier les oméga 3, sains pour le cœur et les rhumatismes. Le rapport entre oméga 3 et oméga 6 doit toutefois être inférieur à 1:5. Pour l’huile d’argan, il est de 1:340, alors qu’il est de 1:4 pour l’huile de colza.
La Société suisse de nutrition en conclut que «L’apport nutritionnel de l’huile d’argan ne vaut pas son prix exorbitant.» Migros rétorque que l’aspect santé n’est qu’au second plan: «L’huile d’argan est avant tout un produit gourmet et Lifestyle.» Coop avance les mêmes arguments: «Cette huile fine n’est pas prévue pour être consommée en grande quantité.»
Tobias Frey / élo
Pour télécharger le tableau comparatif des produits, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.