Renoncer à la viande n’est pas une mince affaire, car elle contient des nutriments difficiles à remplacer. Selon plusieurs diététiciens, l’idéal est d’en consommer moins, sans la supprimer. Les grandes surfaces ont pris note de la tendance et offrent, aujourd’hui, une grande diversité de substituts carnés. Visuellement convaincantes, ces imitations le sont-elles aussi sur le plan nutritionnel? Pour le savoir, deux spécialistes en nutrition ont évalué les dix-neuf produits que nous leur avons soumis (lire encadré).
A la lecture des résultats, la réponse est claire: non, la plupart ne remplacent pas totalement la viande. Neuf d’entre eux, soit près de la moitié, obtiennent même un résultat insuffisant (voir tableau). «Ils cherchent à imiter l’apparence et la quantité de protéines des viandes, mais pas la teneur en micronutriments, alors que les carences des végétariens et des véganes se situent précisément à ce niveau», s’étonne notre experte en diététique Corinne Kehl.
Carence grave
Principal problème: l’absence de vitamine B12, à compenser impérativement par des produits laitiers, des œufs ou un complément synthétique. Une carence en la matière peut causer de graves troubles neurologiques et hématologiques. Or, seules trois préparations Délicorn en contiennent; ce sont d’ailleurs les seules qui obtiennent l’appréciation finale «très bon». Pas trace non plus de fer et de zinc, sauf dans l’ém-incé Délicorn de Coop.
La teneur en protéines est, elle, inférieure à celle d’un morceau de viande du même genre dans huit cas. Plus étonnant, certains articles porteurs d’un logo «riche en protéines» n’en contiennent que 14 g pour 100 g, soit un tiers de moins que du bœuf haché, et moins aussi que d’autres substituts de même catégorie, sans logo! Une portion de 115 g de Quorn émincé Cornatur ne couvre, ainsi, que 28% des besoins quotidiens. Selon nos diététiciennes, le problème est cependant bien moindre que dans le cas de la B12, car une carence en protéines est rare, quel que soit le régime alimentaire.
De plus, ces protéines doivent être de qualité, c’est-à-dire facilement assimilables et composées des acides aminés essentiels. Or, seules les préparations composées en majorité de soja, d’œuf ou de Quorn – sorte de champignon qu’on fait pousser dans des cuves – remplissent ces critères. Les protéines du blé ou du seitan, elles, ne sont pas suffisantes et doivent être complétées par d’autres apports, raison pour laquelle les aliments qui s’en contentent ont été pénalisés. Attention aux produits Cornatur et Délicorn: contrairement à ce que leur nom laisse penser, ils ne sont pas tous composés de Quorn, mais parfois majoritairement de blé.
Défauts copiés
Pour ce qui est des graisses et du sel, on peut faire mieux: «Certains substituts reproduisent les défauts de la viande au lieu de les améliorer. Beaucoup sont trop gras et, comme les viandes transformées, trop salés, remarque Corinne Kehl. Dommage, car les produits végétaux sont, à la base, pauvres en matière grasse.» Bonne nouvelle, en revanche, du côté de la qualité des graisses, plus souvent bonne (colza) que mauvaise (palme, coco).
Pourquoi donc les fabricants n’ajoutent-ils pas de vitamine B12 dans tous leurs articles? Migros y songe, mais précise, comme Manor, que sa gamme est davantage destinée aux flexitariens qu’aux véganes. Aldi explique que le chauffage des aliments lors du processus de fabrication détruirait la B12 ajoutée. Pour le bio, point de salut, car il n’existe pas de complément agréé. Pour y pallier, le directeur de Magbio rend sa clientèle attentive aux risques de carences. Quant à l’allégation «riche en protéines», Coop et Migros indiquent qu’elle est conforme à la législation. Vrai, mais celle-ci est laxiste, puisqu’il suffit que 20% de la valeur énergétique provienne des protéines pour qu’elle soit licite.
On ne mange donc pas toujours plus sain en remplaçant la viande par n’importe quels dérivés. Ils doivent parfois être complémentés par d’autres aliments pour constituer un réel substitut, note le porte-parole d’Aldi. La lecture de leur composition est indispensable pour faire le bon choix, car ni le nom du produit ni le visuel de l’emballage n’indiquent qu’ils sont de bons candidats.
Vincent Cherpillod
En détail
Les critères du comparatif
Corinne Kehl, chargée d’enseignement et Clémence Moullet, assistante de recherche à la Haute Ecole de santé de Genève (filière Nutrition et diététique), ont évalué nos dix-neuf produits en se basant sur leur composition et leur tableau des valeurs nutritionnelles. Elles leur ont accordé, pour chacun des critères ci-dessous, soit deux (++), un (+) ou zéro (=) point de bonus, soit un malus (–). La synthèse de ces points a donné l’appréciation finale.
1. Vitamine B12 et micronutriments
Les produits sans B12 obtiennent un malus (–), ceux qui en contiennent un bonus (+). La présence de micronutriments supplémentaires octroie un deuxième point de bonus (++). Enfin, les produits qui contiennent cette vitamine essentielle, mais en faible quantité (moins de 15% des besoins journaliers), obtiennent un résultat neutre (=).
2. Teneur en protéines
Un (+) lorsque la teneur en protéines dépasse de plus de 10% celle d’un morceau de viande du même genre (un steak haché de bœuf pour les burgers végétariens, par exemple); un (–) lorsqu’elle est inférieure de plus de 10%.
3. Qualité des protéines
Un (+) si le Quorn, le soja, le tofu ou le blanc d’œuf est l’ingrédient principal. Un (=) si l’un d’eux est présent, mais n’est pas l’ingrédient majoritaire. Un (–) si le produit ne contient pas l’un de ces quatre composants.
4. Teneur en matières grasses
Un (+) si le produit est 10% moins gras qu’un morceau de viande du même type; un (–) s’il est plus gras de plus de 10%.
5. Qualité des matières grasses
La présence d’huile de colza, riche en oméga 3 notamment, est valorisée d’un (+). L’adjonction d’huile de palme ou de coco est, elle, pénalisée d’un (–).
6. Teneur en fibres
Un (+) si elle est supérieure ou égale à 5 g par 100 g, en raison de leur effet favorable sur la santé.
7. Teneur en sel
Un (–) si la teneur en sel dépasse 1,5 g par 100 g. A ce taux limite, une portion de 200 g représente déjà 50% de la dose maximale de sel recommandée par jour.