Un pouvoir d’achat élevé justifie des prix plus salés. Longtemps, les Suisses ont avalé cette pilule sans rechigner, quitte à acquérir leur voiture jusqu’à 20% plus cher que leurs voisins étrangers. Mais, lorsque la force du franc a encore creusé l’écart, de nombreux consommateurs helvétiques ont fini par s’intéresser de plus près à l’importation directe.
Le phénomène s’est emballé en 2010, pour ne cesser de s’amplifier depuis. Selon l’Association suisse du marché automobile indépendant (VFAS), la part des véhicules importés directement a doublé entre 2010 et 2011 pour dépasser 10%, alors qu’elle ne représentait que 1,5% en 2006. Pour le seul mois de novembre 2011, elle ne touchait pas moins d’une voiture sur six vendues en Suisse!
Des privilèges pour les grands
L’euphorie ne va, hélas, pas durer. Dès le 1er juillet prochain, la loi révisée sur le CO2 va complètement changer la donne. Dans l’optique de réduire les émissions nocives, toutes les voitures de tourisme dégageant plus de 130 g de CO2 par kilomètre seront taxées. Louable sur le plan environnemental, cette mesure devait initialement toucher tous les importateurs de véhicules. Sauf que le diable est venu se glisser dans les détails de l’ordonnance pour que le consommateur en soit le dindon de la farce.
En clair, les grands importateurs – comme Amag ou Emil Frey pour ne citer qu’eux – pourront échapper aux sanctions par la magie de communautés de quotas d’émissions. Concrètement, cela signifie qu’ils pourront compenser la vente de véhicules gourmands par celle de voitures économiques. Ainsi, Amag ne paiera pas le moindre kopeck pour son bolide Audi R8 (5,2 l pour 525 ch) dégageant 346 g de CO2 au kilomètre s’il contrebalance sa vente par 12 VW Polo Diesel (1,2 l pour 75 ch) émettant 99 g de CO2 …
Adieu l’importation directe
Les petits importateurs – moins de 50 véhicules par année – ainsi que les privés ne bénéficieront pas de conditions aussi complaisantes. Ils prendront en plein la taxe ou presque, puisqu’elle sera progressive: 65% en 2012, 75% en 2013, 80% en 2014 et 100% en 2015. Dès lors, celui qui serait tenté d’importer lui-même la fameuse Audi R8 citée plus haut paiera une redevance qui passera de 18 476 fr. en 2012 à 28 425 fr. en 2015!
Pas si simple qu’il n’y paraît, le calcul qui détermine l’impôt à payer ne tiendra pas uniquement compte des émissions de CO2: il sera pondéré par le poids du véhicule. Ainsi, une voiture qui dégage 130 g de CO2 pour un poids inférieur à 1453 kilos (valeur référence) passera également à la caisse. C’est le cas de la Fiat 500 1,2 l (voir tableau) qui sera soumise à une taxe passant de 878 fr. en 2012 à 1350 fr. en 2015 malgré son faible niveau d’émissions de CO2 (119 g)*.
Le diesel favorisé
Pour un modèle familial comme le Renault Scenic, qui n’a rien d’un mastodonte ni d’un engin de course, la facture s’élèvera à 3471 fr. en 2012 pour culminer à 5340 fr. en 2015. Mais, comme le démontrent nos relevés, les voitures équipées d’un moteur diesel seront moins touchées par la nouvelle législation en raison de leur consommation – et donc d'émissions de CO2 – plus contenue. C’est ainsi qu’une Peugeot 308 1,6 l HDi (diesel) passera entre les gouttes, contrairement à une VW Golf 1,4 l TSI (essence) de puissance semblable.
Quoi qu’il en soit, les sanctions seront suffisamment lourdes pour briser le marché de l’importation directe. Et comme si cela ne suffisait pas, de nouvelles formalités exigées par l’Office fédéral des routes (Ofrou) en ajouteront une couche pour mieux dissuader les consommateurs. D’autant que cette paperasse fastidieuse concernera également les voitures qui émettent moins de 130 g de CO2 au kilomètre.
Six mois et puis s’en vont
Comme l’ordonnance vise les voitures neuves, l’importation de véhicules d’occasion n’est pas concernée. Ainsi, tous les modèles immatriculés à l’étranger plus de six mois avant leur entrée en Suisse échapperont à toutes ces dispositions. Une aubaine pour contourner la loi, se diront les plus malins. Sauf que le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) a pensé à tout pour verrouiller le système. En effet, il se réserve le droit de prolonger ce délai jusqu’à un an, voire de définir des critères complémentaires (kilométrage, etc.) pour éviter les abus.
Tout a donc été soigneusement conçu pour entraver l’importation de voitures neuves trop polluantes dans nos frontières. Du moins pour les privés et les petits importateurs, puisque les plus grands n’auront aucune difficulté à passer entre les gouttes pour mieux renforcer leur position dominante.
Bonus Web:taxes d’importation pour un véhicule privé
Yves-Noël Grin
Pour télécharger le tableau comparatif, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.