«Excellente localisation au bord du lac Léman. Service rapide et soigné. Le petit-déjeuner est plantureux et frais.» Un avis parmi les millions qu’on peut lire sur les sites relevant les opinions de consommateurs. Mais comment savoir s’il s’agit bien de celui d’un client et non de l’autopromotion?
Pendant longtemps, les opinions des usagers ont représenté une forme d’intelligence collective agissant comme un rempart à la toute-puissance du marketing. Mais, avec l’avènement du web participatif, elles ont pris une autre valeur. Les marques ont décelé par ce biais un outil promotionnel redoutable. En France, une étude réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) indique que 66% des consommateurs font confiance aux avis mis en ligne par d’autres usagers. Résultat, le faux commentaire s’est professionnalisé, notamment à travers les services «d’agences de réputation», qui rédigent des estimations factices. Mais des hôteliers et des restaurateurs succombent aussi à la tentation de manipuler leur popularité. Sans compter les concurrents peu scrupuleux passés as de la dézingue… Dès lors, pour garantir leur crédibilité, les sites d’opinions tentent de traquer ces falsifications avec plus ou moins de succès.
Tri des messages
Il est vrai que la tâche est complexe! Les plateformes ont d’abord mis en place un certain nombre de barrières informatiques et humaines. Souvent, les faux messages sont postés d’un même ordinateur ou d’une même adresse IP. Les filtres sont là pour les déceler.
A TripAdvisor par exemple, le géant des commentaires de voyageurs, ils sont au moins 25 à trier les messages entrants. Et, si la société anglaise préfère rester discrète sur les détails techniques pour des raisons de sécurité, on sait que la plupart d’entre eux repèrent l’adresse IP de l’expéditeur ou scannent les messages à la recherche de termes suspects. Des mesures souvent secondées par l’œil humain. De nombreuses plateformes emploient des modérateurs pour relire tous les messages entrants et les valider manuellement.
Quatre sites évalués
Pour tester l’efficacité de ces mesures dissuasives, nous avons évalué quatre sites parmi les plus utilisés en Suisse romande. Nous avons créé quatre fausses identités (trois hommes et une femme), que nous avons inscrites sur chaque site. Puis, chaque identité a posté un message sur la page du même établissement (dans un hôtel et un restaurant sur TripAdvisor). Ces commentaires présentaient des similarités de style et étaient tous totalement dithyrambiques à l’égard de l’établissement commenté. Entre chaque opération, nous avons vidé la mémoire cache de notre ordinateur pour supprimer les cookies. Puis, nous avons observé s’ils passaient outre les filtres informatiques et le filet des modérateurs. Nous avons enfin évalué la facilité à s’inscrire sur le site, ce qui favorise évidemment la tricherie.
TripAdvisor.com
> Procédure – Elle est relativement simple, il suffit de s’inscrire, d’entrer son adresse e-mail et de choisir un pseudo. Il n’est pas possible de poster plus d’un message sur la page d’un hôtel depuis le même ordinateur sans préalablement effacer les cookies.
> Mesures – En plus des filtres automatiques analysant les messages entrants, les avis sont lus par une équipe antifraude d’une dizaine de personnes. Si une tromperie est soupçonnée, TripAdvisor le mentionne sur la page de l’hôtel avec l’indication «Enquête en cours». Si elle est avérée, un modérateur supprime tous les commentaires, recalant ledit établissement en queue de classement.
> Résultats – Seuls deux commentaires sur huit (quatre sur un hôtel et quatre sur un restaurant) ont été publiés.
iTaste.ch
> Procédure – Pour s’inscrire, il faut créer un profil sous son
vrai nom (mais rien n’empêche de le faire avec un faux…) et répondre à une série de questions sur ses goûts culinaires. L’inscription est effective après validation d’un lien reçu par e-mail.
> Mesures – Dans cette communauté, plus vous êtes actifs, plus vous recevez des points de réputation qui font de vous un commentateur de confiance. Les notes attribuées par un nouvel utilisateur sont donc pondérées par rapport à celles d’un utilisateur à forte réputation. Une équipe d’animateurs pose, par ailleurs, des questions aux auteurs de nouveaux commentaires, mais on ne censure rien, excepté l’injure.
> Résultats – Tous nos commentaires ont été publiés. Mais iTaste.ch mise beaucoup sur son système de réputation et part du principe que la communauté se chargera de déceler les utilisateurs peu fiables.
resto-ranG.ch
> Procédure – Elle est de loin la plus contraignante, puisqu’elle comporte trois étapes. Après inscription, avec pseudo, la validation du commentaire se fait par un lien reçu via l’e-mail. Ce dernier mène à une page où il faut inscrire son numéro de téléphone pour recevoir un code d’activation par sms. Qui permet de valider définitivement le message qui sera ensuite modéré.
> Mesures – «Nous avons décidé de mettre en place cette procédure en trois phases, afin de décourager les faussaires et garantir des commentaires de qualité, explique Nicolas Alberto, fondateur du site. C’est le seul moyen efficace contre les comptes factices.» Resto-ranG a aussi instauré un système de réputation avec des médailles.
> Résultats – Aucun de nos quatre commentaires n’a été publié. Mais nous n’avons pas, non plus, reçu le code d’activation pour certains d’entre eux. Un problème technique désormais résolu, d’après resto-ranG. Ce système un peu rédhibitoire ne l’est malheureusement pas seulement pour les contrefacteurs!
bonresto.ch
> Procédure – Pseudo, mot de passe et adresse e-mail sont demandés, sans validation par courriel.
> Mesures – Pour des raisons de sécurité, bonresto.ch ne tient pas à lever le voile sur les mécanismes limitant les abus des internautes.
> Résultats – Nous n’avons pu poster qu’un seul commentaire. Impossible d’en écrire d’autres sur le même restaurant, même en vidant la mémoire cache de l’ordinateur et en revenant ultérieurement. Bonresto.ch assure avoir des astuces contre la tromperie, mais en préserve le secret.
Chacun des sites testés comporte finalement des points faibles, et aucun ne garantit la crédibilité des commentaires présents. Au bout de la chaîne, c’est toujours la capacité de discernement de l’internaute qui fera office de dernier rempart. Pour se forger une opinion valable, il est conseillé de lire entre 10 et 20 avis différents, de les comparer et de multiplier les sources.
Bonus Web:Eviter et débusquer les faux commentaires
Laetitia Wider