Se donner bonne conscience en investissant dans la gestion durable des forêts tropicales et engranger, en parallèle, des rendements allant jusqu’à 13%? Trop beau pour être vrai? C’est pourtant ce que promettent les nombreuses publicités – proposant d’acheter une parcelle de bois tropical en Amérique du Sud – qui ont fleuri sur le net. Celle de la société suisse alémanique Life Forestry, basée à Stans, promet par exemple une performance annualisée de «12% ou plus» pour un investissement dans une plantation de teck, un bois précieux très recherché, imputrescible et destiné à de multiples usages. «Vos revenus augmentent à mesure que vos arbres grandissent» vante ainsi la brochure de présentation avec force détails et graphiques.
Projections fantaisistes?
Pour que ce petit miracle se réalise, il suffit au client d’acheter au moins 100 plants de teck au Costa Rica ou en Equateur pour un montant de 3700 € et d’attendre qu’ils se transforment en de majestueux arbres. Pour 36 300 €, ce même client deviendra l’heureux propriétaire de 1100 arbres, soit l’équivalent d’un hectare. Le jackpot tombera 20 ans plus tard, si l’on en croit les projections de l’entreprise: selon elle, ce ne sont pas moins de 210 m3 de bois qui seront commercialisés durant ce laps de temps. A supposer, toujours selon le scénario idéal de Life Forestry, basé sur la quantité de bois récolté projetée ainsi que sur les prix du marché, que le prix du teck renchérisse de 6% par année au cours de cette période, l’investisseur empocherait au total 254 000 € net…
Nombreux risques
Merveilleux! Mieux vaut toutefois réfléchir à deux fois avant de placer tout ou même une partie de son bas de laine dans le développement durable des forêts! Les rendements très élevés que les entreprises font généralement miroiter sont, en effet, à la hauteur des risques supportés par les clients. Quand ils ne sont pas tout bonnement peu réalistes. Selon certains spécialistes, ce genre de placement appartient même à la catégorie des investissements dits spéculatifs. Par conséquent, ils ne sont pas recommandés pour les petits investisseurs avec un profil de risque modéré.
L’horizon de placement est en outre fixé à 20 ans. Or, il peut s’en passer des choses sur une période aussi longue, des bonnes comme des moins bonnes! Les arbres ne sont en effet pas à l’abri d’un feu de forêt, d’une tempête ou encore d’une maladie qui pourrait réduire à néant l’investissement. De même, on ne peut pas exclure que le cours du teck s’effondre, ni que la qualité du bois ne réponde pas aux standards internationaux. Il est encore impossible de prédire avec certitude le volume produit par hectare, celui-ci dépendant étroitement de la qualité biologique de la plante, de la qualité du terrain sur lequel l’arbre est planté, mais aussi du soin apporté à l’entretien des plans. Et c'est compter sans la situation géopolitique et économique du pays où sont plantés les arbres, laquelle peut se dégrader.
Les sociétés ne sont pas non plus des œuvres de bienfaisance. Elles prélèvent donc une commission au moment où elles revendent les arbres pour le compte de l’investisseur. Life Forestry, par exemple, prend 15% du montant total de la transaction à titre de frais d’exploitation, de traitement et de management.
A cela s’ajoute, enfin, un risque de change non négligeable, les prix étant négociés en euros ou en dollars. Or, si ces devises venaient à se déprécier par rapport au franc suisse – ce qui n’est de loin pas exclu sur une période de 20 ans –, la perte enregistrée serait alors à la hauteur de la dévalorisation de la monnaie.
Conclusion d’un rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO): «Les investissements à long terme dans la production forestière à rendement incertain se prêtent à des projections trop optimistes et peu réalistes, qui sont extrêmement séduisantes au départ pour les investisseurs, mais risquent de provoquer des déceptions et de nuire à la réputation du secteur à long terme». A méditer avant de se lancer dans l’aventure!
Chantal Guyon