Du lait ou du Coca-Cola, quelle boisson est la plus écolo? Posez la question à un écologiste confirmé, et il vous surprendra en citant le sombre breuvage originaire d’Atlanta. A raison: aujourd’hui, en Suisse, 8 bouteilles de Coca sur 10 (PET ou verre) sont récupérées, recyclées ou reremplies. Pour le lait, le taux de recyclage des emballages avoisine le… zéro virgule zéro.
Enfin, pas tout à fait. Elizabeth Chollet, par exemple, n’achète que du lait Milco, en bouteilles de polyéthylène haute densité (PE-HD): l’entreprise fribourgeoise recycle à ses frais les bouteilles vides. Un système unique en Suisse romande. Au point que les distributeurs eux-mêmes (dont Coop, Manor et Usego) s’y trompent: «Vous n’avez qu’à les glisser dans les containers à PET», répond un jour un employé de la Coop de Nyon auquel notre lectrice demande où déposer ses bouteilles vides. Erreur! Glissée dans le lot
de PET, la bouteille de PE devra être retirée au cours du tri. Sinon, un lot en-
tier de PET à recycler (soit 20 000 bouteilles) devra être bêtement incinéré…
A l’avant-garde
«Nous avons confondu plastique et PET», plaide Paulo Simoes, le gérant du magasin en question. On le croit volontiers: à l’inverse de celle du PET, la récupération du PE alimentaire est confidentielle, plus encore que son utilisation. Milco s’est inspiré de la Suisse allemande, où la sensibilité écologique est incontestablement plus rigoureuse. «Nous manquons de recul, mais après deux ans, on estime le taux de retour à 30 ou 40%», affirme Jacques Ropraz, directeur de Milco. On est loin des 80% du PET, mais à l’avant-garde en ce qui concerne le recyclage d’emballages de lait.
Dispensé de recyclage, le «blanc du sportif» l’est à double titre: l’Ordonnance sur les emballages de boissons (OEB) ne s’applique ni au lait, ni à la brique dans laquelle il est le plus souvent commercialisé. Il s’agit d’un emballage constitué de 80% de carton, 15% de polyéthylène et 5% d’alu, dont près de 500 millions de pièces sont vendues chaque année en Suisse rien que par Tetra Pak, le leader de la branche. Un océan en comparaison des 3 millions de litres vendus par Milco… Au total, 100 tonnes de carton, près de 19 tonnes de PE et 6 tonnes d’alu partent chaque année en fumée… A l’époque où l’OEB est entrée en vigueur, il n’était pas question de reporter sur le sacro-saint prix du lait une taxe anticipée de recyclage perçue auprès du producteur – la clé de voûte de l’OEB et du système PET, alu ou verre. Et puis, le recyclage de la brique de lait était alors techniquement irréalisable.
Trop cher
Ce n’est plus le cas: en Europe, la brique Tetra Pak est recyclée avec succès (taux de récupération en Allemagne: 73%!). Mais la Suisse s’obstine: «Trop cher et pas prioritaire», tranche l’Office fédéral de l’environnement (OFEFP). Et d’invoquer le «bilan écologiquement satisfaisant de l’incinération». La révision de l’ordonnan-ce, soumise ces jours au Conseil fédéral, reste donc fidèle au vieux tabou: pas de lait dans l’OEB!
En écho, la pub fanfaronne: «Tetra Brik, le premier emballage au monde dont l’élimination permet de récupérer de l’énergie.» A l’OFEFP comme chez Tetra Pak, on oublie que mises ensemble, les 28 usines d’incinération suisses produisent juste de quoi éclairer une ville de 120 000 habitants. Et que leurs capacités sont dépassées (voir encadré). Un nuage de lait dans votre tasse de déchets?
Blaise Guignard
des millions de tonnes à brûler
La crise des ordures ménagères
La reprise a son prix: les ordures s’amoncellent plus vite qu’elles ne sont éliminées – en majeure partie par incinération. La Suisse produit 10 mios/t de déchets par an, dont plus du quart sortent en vrac des poubelles ménagères. En tout, ce sont plus de 3,3 mios/t de déchets qui finiront en fumée cette année encore, pour un coût total oscillant entre 350 et 400 fr./t.
Problème: la capacité globale des 28 usines d’incinération suisses plafonne à moins de 2,9 mios/t. Les collectivités n’ont d’autre choix que de se tourner vers les usines les moins débordées, et d’accélérer la construction des nouveaux centres. En ce qui concerne les déchets ménagers, le tri et le recyclage semblent atteindre leurs limites – les taux de récupération atteignent 80% pour le PET et 90% pour le verre ou l’aluminium. Conclusion logique: aux industries de modifier leur comportement en termes de production de déchets et de tri de ces derniers. Un effort qu’elles rechignent toujours à fournir. La majorité des consommateurs l’a déjà fait.