Nos vertes contrées sont peuplées d’innombrables bêtes sauvages. Il n’empêche que les quelque 240 000 chevreuils, chamois et cerfs qui gambadent en Suisse ne suffisent absolument pas à caler l’appétit des amateurs de civet, râble et autres compagnons de spätzli.
Chaque année, de fin août à mi-novembre, nous dévorons, en moyenne, plus d’un demi-kilo de gibier par personne. Ce qui équivaut à notre consommation annuelle de viande de cheval et à environ la moitié de celle de mouton.
Près de 5000 tonnes de gibier sont ainsi annuellement ingurgitées et ces quantités ont tendance à croître. Les populations de gibier, de leur côté, ont également légèrement augmenté, mais le produit de la chasse suisse ne couvre même pas 20% de la demande.
«Nous pourrions tirer davantage de bêtes, explique le secrétaire de Diana Suisse, Charly Sierro. 70% des chasseurs n’atteignent pas leur quota de chasse. Mais en principe, nous ne cherchons pas à faire du commerce.»
Demander au boucher
En effet, le gibier suisse garnit principalement les assiettes des chasseurs et de leurs proches. Jamais vous n’en trouverez dans les grandes surfaces (voir tableau).
Selon le directeur de l’Union suisse des maîtres bouchers, Balz Horber, certaines boucheries reçoivent de temps en temps un peu de chasse locale, directement des mains du chasseur. A défaut d’avoir un pote trappeur, il peut donc être utile de faire copain-copain avec le boucher, histoire de se voir réserver un beau morceau.
Le meilleur moyen de manger un cerf ou un chevreuil «bien-de-chez-nous» reste dès lors le restaurant. Encore faut-il trouver la bonne adresse et réserver sa table des mois à l’avance. Car, là aussi, le gibier helvétique est une denrée rare.
Les patrons du «Relais des chasseurs» à Chiboz (VS), traquent la plupart du temps eux-mêmes le contenu de leurs marmites. Mais ils le disent sans détour: «Le fruit de notre chasse ne suffit pas. Nous devons aussi acheter du gibier étranger.» Bien d’autres tables sont également réputées pour leurs plats de chasse, telle celle de Robert Chatelan, aux Cullayes (VD), mais ses chevreuils et cerfs viennent d’Autriche et ses lièvres sont chinois.
On l’aura compris: le marché du gibier suisse est très restreint, même si les services cantonaux de la faune l’alimentent un peu, en vendant les bêtes qu’ils abattent pour réguler les populations. Dans le canton de Genève, les garde-chasse sont d’ailleurs les seuls à pouvoir tirer, car la chasse y est interdite.
Un goût de bitume
Enfin, et c’est sans doute la source de gibier local la moins ragoûtante de toutes, les accidentés de la route peuvent aussi atterrir dans votre assiette. En effet, les animaux pas trop endommagés par le choc sont mis en vente. En 2000, pas moins de 7508 chevreuils ont été accidentés. Mais difficile de savoir combien étaient encore aptes à la consommation.
Pour satisfaire toutes les papilles, la Suisse doit donc importer plus de 80% du gibier consommé. Cette viande n’est pas contingentée. «On peut en importer la quantité qu’on désire. Pour autant que l’Office vétérinaire fédéral ait accepté l’espèce et estimé qu’elle répondait aux normes sanitaires en vigueur», explique Jean Gaeng, président de l’Association suisse des importateurs de volaille et de gibier (ASIV). Cette saison, on ne trouvera sur nos étalages que très peu de sangliers en provenance des pays de l’Est, en raison de la fièvre porcine qui a sévi dans ces contrées.
Décalage horaire
Chez nous, la chasse est un mets automnal, mais les arrivages de viande s’étendent sur toute l’année. On ne tire pas les bêtes à la même période à l’étranger. Aux antipodes, la saison de la chasse a lieu au printemps et le gibier abattu est congelé, en attendant de figurer sur la carte de nos restaurants.
Plus de la moitié du marché d’importation se compose de viande de chevreuil. Sa chair est la plus appréciée des Helvètes et elle vient principalement d’Autriche, l’un des plus grands exportateurs de chasse d’Europe. L’animal y vit en liberté et mis à part les quelques kilomètres qui le séparent des Alpes suisses et la nationalité du chasseur, c’est presque comme si vous mangiez un produit indigène.
Sauvages élevés
Il n’en va pourtant pas de même pour toutes les espèces (voir tableau). Les cerfs, qui viennent au second rang des préférences gustatives des Suisses, font généralement un très long voyage en compartiment frigorifique. Près des deux tiers sont issus de vastes élevages néo-zélandais, où ils ont été abattus par balle. Mais l’élevage concerne surtout les cerfs et les volailles. On ne peut pas mettre un sanglier, un chamois ou un chevreuil dans un enclos, même si celui-ci est immense.
A en croire les spécialistes, cela ne fait presque aucune différence que le gibier soit sauvage ou d’élevage. Toutefois, il arrive que les éleveurs chinois recourent aux antibiotiques ou à des substances antimicrobiennes, non seulement pour soigner l’animal, mais également pour stimuler les performances. Mais la présence de ces produits doit être signalée lors de l’étiquetage (lire encadré).
Le président de l’ASIV assure que cette viande de chasse demeure néanmoins très saine. Et selon l’adjoint au chimiste cantonal vaudois, Alain Etournaud, la viande importée n’a pas posé de problèmes particuliers liés à l’hygiène.
Même goût
Ne désespérez donc pas si aucun chasseur ne figure dans votre carnet d’adresses et si toutes les auberges spécialisées dans le gibier suisse affichent complet. La chasse importée et d’élevage est parfaitement commestible. La preuve: la plupart des bouchers que nous avons interrogés ne distinguent pas au goût un gibier d’élevage d’un gibier sauvage.
Joy Demeulemeester
étiquetage
Les mentions obligatoires
Le consommateur doit pouvoir trouver les indications suivantes sur l’étiquette d’un produit de chasse:
• L’espèce animale: c’est le domaine où les chimistes cantonaux ont constaté de rares cas de fraude, trouvant de l’antilope dans un emballage de chevreuil.
• Le pays d’où provient le gibier, ainsi que celui où il a subi d’éventuelles transformations, comme la préparation en civet. Si la provenance est simplement «Europe», cela signifie que l’origine ne peut pas être déterminée avec précision. Il s’agit alors d’un mélange de viandes, issues toutefois de l’Union européenne.
• La présence de traces d’antibiotiques ou le recours à d’autres substances antimicrobiennes.
• Une indication précisant si la viande a été décongelée.
• La mention «gibier d’élevage», en revanche, n’est pas obligatoire.
Provenance de la viande de chasse étrangère
Provenance de la viande de chasse étrangère
Coop Migros Pays les plus fréquemment Sauvage/
exportateurs1 élevage
Chevreuil Europe Autriche Autriche et Chine sauvage
Cerf Nouvelle-Zélande Nouvelle-Zélande Nouvelle-Zélande et pays de l'Est élevage2
Sanglier USA (Texas) Autriche Hongrie, Autriche, Australie sauvage
Lièvre Europe Argentine Argentine et pays de l'Est sauvage
Faisan — France Chine élevage
Chamois Europe — Pays alpins sauvage
1Selon indications de l'ASIV (Association des importateurs de volaille et de gibier).
2Ne concerne que le gibier néo-zélandais.