Jamais les Suisses n’ont bu autant d’eau en bouteilles: 80 litres par habitant l’an dernier. Avec ou sans bulles, le corps y trouve son compte: pas de calories inutiles mais de nombreux sels minéraux indispensables.
En fait, l’eau minérale n’est rien d’autre que de l’eau de pluie tombée il y a 10, 100 ou même 1000 ans, et qui s’est infiltrée profondément dans la croûte terrestre, jusqu’à la nappe phréatique. Durant ce laps de temps, l’eau s’est enrichie de particules naturelles du sol, tels les minéraux, dont certains sont vitaux pour notre corps. D’où son nom ...
Mais finalement, tout comme l’eau du robinet, l’eau minérale est incontestablement naturelle. Or, son prix est au moins 68 fois plus élevé que le «Château Lapompe», parfois 500 fois plus élevé! Un litre d’eau minérale coûte en effet entre 0,34 et 1 fr., contre 0,2 et 0,5 cts. pour l’eau du robinet. En moyenne, cela revient à dire que pour le même prix, on peut se procurer 191 litres d’eau potable contre 1 litre d’eau minérale en bouteille. Une telle différence de prix est-elle justifiée?
C’est ce que nous avons voulu savoir en remettant 17 bouteilles d’eau minérale «plate» (sans gaz carbonique) au laboratoire Interlabor Belp, avec pour mission d’analyser leur contenu, tant sur le plan microbiologique que chimique.
D’après une ordonnance fédérale, le nombre de germes dits aérobies ne devrait pas dépasser 300 UFC (unité formatrice de colonie) par millilitre. Il s’agit en fait d’une valeur recommandée, la limite maximale étant des dizaines de milliers de fois plus élevée. Mais autant l’eau du robinet est officiellement très contrôlée et toujours très nettement en-deçà de la valeur recommandée, autant les eaux minérales sont laissées aux bons soins des contrôles internes. Or, la moitié de celles que nous avons testées dépassent la valeur recommandée pour l’eau du robinet, et seules cinq d’entre elles sont aussi propres que l’eau des robinets zurichois, avec moins de 10 UFC/ml.
Pas de danger
Qu’on se comprenne bien: votre santé n’est pas ici en danger. Le laboratoire que nous avons mandaté admet d’ailleurs qu’une eau en bouteille peut être considérée comme «bonne» jusqu’à 1000 UFC/ml et ne devient insuffisante que depuis
10 000 UFC/ml. Mais pour l’exemple, l’eau potable de la ville de Zurich affiche un taux variant entre 0 et 9 UFC/ml, avec une moyenne de 3 UFC/ml. «Et si cette valeur devait augmenter, assure le vice-directeur de l’approvisionnement Ulrich Zimmermann, nous prendrions immédiatement les mesures nécessaires pour revenir à la normale.» Nous avons donc décidé d’établir notre classement par rapport aux chiffres retenus pour l’eau potable.
Prises de position
A ce sujet, deux producteurs ont pris position en recevant les résultats de notre test. La maison Tamaro Drinks SA, qui met en bouteille l’eau San Clemente, regrette que la quantité de germes ait été légèrement trop haute dans la bouteille testée. Elle assure avoir elle-même fait deux analyses avec d’excellents résultats.
La maison Henniez conteste notre idée de base, c’est-à-dire de comparer l’eau minérale avec l’eau du robinet. Se référant au Dr Pierre Schwaller, expert de l’industrie alimentaire, elle rappelle que l’eau du robinet se trouve dans un système dynamique (en mouvement) où le nombre de germes reste stable, alors que l’eau mise en bouteilles passe dans un système «en vase clos», où les germes prolifèrent en quantité variable (d’une bouteille à l’autre d’une même marque) mais
limitée.
Autre remarque de la maison Henniez, qui cite toujours le Dr Schwaller: «La présence de cette flore inoffensive constitue la preuve qu’aucun traitement de désinfection n’a été appliqué à l’eau.» Ce qui laisse supposer que tel serait
le cas des eaux minérales affichant un taux nul ou très bas (par pasteurisation par exemple).
Toutes les eaux sont, en revanche, exemptes d’autres pollutions nettement plus importantes, telles celles provoquées par les escherichia coli, les entérocoques et les pseudomonas aeruginosa.
Analyse chimique
Les eaux minérales s’en tirent nettement mieux avec l’analyse chimique. Aucune trace, par exemple, de plomb, de cadmium, de nitrite et de pesticide.
Par quatre fois cependant, des impuretés ont été trouvées dans des quantités que nous jugeons suffisamment importantes pour dévaluer le produit concerné dans notre classement final (lire l’encadré ci-contre).
Des traces de formaldéhyde ont été repérées dans les eaux Arkina et Vittel, au-delà des valeurs recommandées, mais en-deçà des limites maximales. S’agissant de leur origine, on ne peut que faire des hypothèses: «Ces restes proviennent probablement d’un processus de désinfection», estime Ernst Jakob, responsable des tests menés par Interlabor. Toujours est-il que les personnes allergiques au formaldéhyde peuvent faire une réaction même à de très petites quantités. Voilà pourquoi nous avons pénalisé ces deux produits.
Dans l’eau Vittel, le laboratoire a également décelé 0,013 mg/l d’arsenic, alors que le seuil de tolérance s’élève à 0,002 mg/l (la valeur maximale est de 0,05 mg/l).
Trop d’ammonium
L’eau Alpina Naturelle contenait quant à elle 0,3 mg/l d’ammonium, soit six fois
la valeur recommandée de 0,05 mg/l. Ces impuretés proviennent la plupart du temps d’une pollution organique, telle que le purin ou un processus de pourriture.
Enfin, l’eau Henniez a également été dévaluée dans notre classement à cause de sa teneur en nitrate (18 mg/l). Certes, ce taux est encore largement inférieur à la valeur recommandée par l’ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires (40 mg/l), mais l’eau du lac Léman qui arrive aux robinets lausannois varie entre 4 et 5 mg/l. Et le Service de l’hygiène publique allemand en appelle à la prudence lorsqu’on utilise de l’eau minérale affichant un taux en nitrate supérieur à 10 mg/l dans l’alimentation des enfants en bas âge souffrant de problèmes d’estomac et intestinaux. Or, l’eau d’Henniez est la seule parmi celles que nous avons testées à présenter un taux de nitrate aussi élevé.
Dans sa prise de position, la maison Henniez estime que cette dévaluation est subjective, arguant que son eau est parmi celles recommandées par le médecin-chef de l’hôpital pour enfants de
Lucerne.
Question de prix
Conclusion générale, valable pour tous les buveurs d’eau plate: la Suisse n’est pas considérée comme le château d’eau de l’Europe pour rien. L’eau du robinet y est excellente et répond à des critères de qualité plus exigeants que pour les eaux en bouteilles. Or, 1000 litres d’eau provenant du réseau de distribution coûteront 5 fr. dans le pire des cas, livraison à domicile incluse. Selon la marque choisie parmi les eaux en bouteilles retenues dans notre test, la même quantité reviendra entre 340 et 1000 fr.
Explications techniques
Système de comparaison
Les analyses microbiologiques et chimiques des eaux minérales ont été réalisées au laboratoire Interlabor, à Belp.
- Analyse microbiologique: le laboratoire a évalué le nombre de germes par millilitre d’eau (UFC/ml). Comme il n’existe pas de directives spécifiques pour les eaux minérales, nous avons rendu notre appréciation en fonction des normes valables pour l’eau potable.
< 10 UFC/ml = très bon
10 à 100 UFC/ml = bon
100 à 300 UFC/ml = suffisant
(seuil maximal pour
une recommandation)
> 300 UFC /ml = insuffisant
- Analyse chimique: le laboratoire a repéré les quantités, même infimes, de différentes substances chimiques, tels l’arsenic, l’ammonium, le cadmium, le formaldéhyde, le nitrate, le nitrite et le plomb. L’appréciation «en ordre» (e.o.) signifie qu’aucune de ces substances n’a été trouvée en quantité suffisante pour justifier une dévaluation du produit.
- Appréciation globale générale: elle ne peut pas être meilleure que le résultat de l’analyse microbiologique. En revanche, les produits contenant trop d’une ou plusieurs substances chimiques ont été dévalués.
Télécharger le tableau comparatif de tous les produits.