À quelques centaines de mètres de la frontière, à Vaduz, la Pflugstrasse est une rue comme les autres. Pour les contribuables suisses, le numéro 7 de l’artère revêt toutefois une importance particulière. Comme en témoignent deux étiquettes discrètes sur une boîte aux lettres, c’est à cette adresse qu’on trouve les filiales d’anciennes régies fédérales: CFF Insurance SA – créée quand la compagnie ferroviaire est devenue société anonyme – et Swiss Post Insurance.
Un peu plus loin, une autre fiduciaire recueille le courrier de Swisscom Re, société de réassurance interne à l’opérateur. Rien de bien original: le même toit abrite Allied Finance Trust, Royal Crown Anstalt et Orthinvest. Swatch Group a préféré délocaliser une filiale au Luxembourg et Roche, aux Bermudes.
Des millions soustraits au fisc
Ce tourisme n’est pas du goût de tout le monde. En 2002 déjà, Pascal Couchepin estimait «dangereuse» la stratégie des CFF. Si l’ancienne régie pousse trop
le bouchon, elle risque de perdre la confiance du Parlement et de la population, avait-il confié dans une interview. L’ancien conseiller fédéral rejoignait ainsi l’avis de Kaspar Villiger, autre ministre radical, à qui la filiale de Swisscom au Liechtenstein laissait un «arrière-goût». «C’est légal, mais pas très élégant, et ça me contrarie», déclarait-il, en 2001, au Tages-Anzeiger.
«Cette construction permet à Swisscom d’économiser entre 5 et 10 millions de francs d’impôts par an», avait répondu le Conseil fédéral à un parlementaire interloqué par cette pratique. Soit entre 65 millions et 130 millions, entre 1998 et 2010. L’opérateur balaie ces chiffres et indique que l’épargne réalisée se situe bien en deçà.
Vive la discrétion
Soit. Mais Vaduz a d’autres attraits. En Suisse, la Finma, autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, publie des chiffres précis. Rien de tel au Liechtenstein, si bien que les anciennes régies, dont la Confédération est pourtant actionnaire majoritaire, peuvent rester très discrètes sur ces filiales.
Swisscom et La Poste n’en diront pas plus. Seul le capital engagé apparaît clairement dans les comptes: 5 millions pour Swisscom Re, 30 millions chez Swiss Post Insurance. Dans les cantons de Zoug ou de Zurich, ces fortunes seraient soumises à l’impôt avec les éventuelles réserves. Rien de tel à Vaduz.
De leur côté, les CFF indiquent que le capital engagé dans la société CFF Insurance SA s’élève à 12,5 millions. La filiale a encaissé des primes nettes de 17,5 millions de leur part et a réalisé un bénéfice de 940 000 fr. Ce montant a été porté aux réserves qui s’élè-vent désormais à 6,6 millions. S’y ajoutent des réserves de béné-fices de 31,4 millions et des provisions de 23,9 millions, soit, au total, 74,4 millions de francs exempts d’impôts à part la taxe minimale de 1200 fr.
Surveillance très commode
Les trois anciennes régies affirment, en chœur, que le lieu choisi ne relève pas de l’évasion fiscale. La Poste précise qu’elle était encore exemptée d’impôts jusqu’en 2011. Le choix de Vaduz lui permet, en revanche, d’avoir un pied dans l’EEE. Un argument contestable, alors que les sociétés de réassurance de Nestlé et de Liebherr ont gardé leurs sièges en Suisse.
Le Liechtenstein a un autre atout: il laisse certaines sociétés se surveiller elles-mêmes. Swisscom Re a ainsi confié ce soin au fiduciaire Bernhard Lampert, qui siège également dans le conseil d’administration de la société et dans l’Autorité de surveillance des marchés financiers de la principauté. Cette dernière étant, elle-même, censée éviter que la filiale de l’opérateur ne camoufle ses bénéfices en les faisant passer pour des primes d’assurance.
Yves Demuth / chr
Encore avantageux par rapport à la Suisse
Nouvelles règles du jeu
En 2010, coup de grisou: les autorités de surveillance de l’Espace économique européen (EEE) estiment que la politique de dumping fiscal pratiquée par le Liechtenstein envers les sociétés de réassurance est contraire au traité. Elles ordonnent à la principauté de présenter la note aux sociétés qui en ont bénéficié jusque-là. Swisscom fait recours sans succès et doit passer à la caisse. Le montant du remboursement n’est pas connu. Plus transparents, les CFF indiquent avoir dû payer 320 408 fr. La société de réassurance de La Poste échappe à toute sanction, car elle n’a pas réalisé de bénéfices.
Depuis 2011, Vaduz a augmenté les taux d’impôt, si bien que les trois anciennes régies affirment ne plus rien gagner, la note facturée ayant quasiment rejoint le niveau de celui du canton de Nidwald. Un taux, soit dit en passant, encore inférieur à celui pratiqué ailleurs en Suisse.