Les rosés n’ont parfois que le nom, mais pas vraiment la couleur. Cette tendance est marquée dans bon nombre de Côtes-de-Provence: leur teinte est si estompée qu’on pourrait les confondre avec des blancs. De quoi donner la migraine à un daltonien avant même qu’il ne trempe les lèvres. Le marketing n’en a cure: il a compris l’attrait du consommateur pour des vins inspirant la légèreté estivale par la fadeur de leur couleur. Le pressage est passé par là (lire encadré).
Comme de coutume, notre sélection s’est concentrée sur les produits vendus dans les grandes surfaces. Bien que nous n’ayons retenu que le millésime 2017, de nombreux crus de 2016 trônent encore sur les étals. Sachant que de tels rosés ne brillent pas par leur potentiel de garde, mieux vaut passer son chemin et porter son choix sur l’ultime millésime. La question ne se pose pas chez Lidl et Aldi qui n’ont étonnamment pas de Côtes-de-Provence dans leur
assortiment.
Un bio en tête
Au terme de notre dégustation à l’aveugle, c’est une fois encore un vin bio qui a surclassé la concurrence. Le Château Gairoard a obtenu l’excellente note de 16.2, loin devant ses principaux dauphins. «C’est un très beau rosé plutôt gourmand, à cheval entre les Côtes-de-Provence traditionnels et la nouvelle tendance. Même si c’est plutôt un vin de gastronomie, il peut parfaitement être servi à l’apéritif aussi», note Claire Mallet.
Le Château de l’Aumerade, qui se classe au deuxième rang, est un bel exemple d’une approche plus classique de l’appellation. Et cela se voit avant même de l’ouvrir: sa couleur est assez soutenue, alors que son étiquette opte pour une sobriété d’inspiration bordelaise. «Il est plaisant avec un nez intense et une bouche expressive. C’est un vin rond et ample qui accompagnera très bien un repas», relève René Roger.
Le moins cher de notre sélection (7.45 fr.), le Billette, monte sans complexe sur la troisième marche du podium. C’est un rosé au nez fruité assez discret, porté sur la fraîcheur et la vivacité. «On a une belle harmonie et une bonne longueur en bouche, bien qu’il manque un peu de volume», commente Richard Pfister. A parfaite égalité de points, on retrouve un autre produit vendu chez Denner, le Château Roquefeuille, qui est l’exemple type d’un Côtes-de-Provence moderne destiné à l’apéro: robe très claire, peu d’ampleur, le tout dans une bouteille très «trendy».
Une star en retrait
La bouteille la plus chère du lot (19.95 fr.) doit se satisfaire du 5e rang. Il s’agit de la cuvée «Prestige» de Minuty, l’une des caves les plus en vogue de l’appellation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ses rosés sont largement diffusés en Suisse: on en trouve aussi bien chez Manor, Coop, Aligro que Globus.
Minuty surfe pleinement sur la tendance actuelle, comme le trahit la pâleur de son «Prestige» orienté sur la fraîcheur et la légèreté. De tous les membres du jury, c’est Arnaud Scalbert qui a été le plus séduit: «Le nez est élégant, la bouche est vive et friande. C’est un bon vin pour l’apéro.» Positionné dans la gamme inférieure, le «M» de Minuty n’a pas été aussi bien noté. Les dégustateurs ont regretté son manque d’émotion et de caractère.
Yves-Noël Grin
Eclairage
Tu presses ou tu saignes?
L’élaboration d’un rosé est plus complexe qu’il n’y paraît. Faut-il le rappeler, il ne s’agit pas d’un délicat mélange de vins blanc et rouge! Les deux principales méthodes de vinification sont le pressurage direct et la saignée. Dans le premier cas, le processus est similaire à celui qui permet d’obtenir des vins blancs. Schématiquement, les raisins noirs sont pressés et, seul, le jus est conservé pour être mis en cuve. On obtient ainsi des vins généralement plus pâles et légers, même si divers paramètres, comme le cépage, les conditions de macération et le pressurage, permettent de moduler la couleur.
Pour les rosés de saignée, le jus est laissé au contact des peaux pour que la coloration soit plus marquée. En résumé, la macération est semblable à celle des vins rouges, mais nettement plus courte. Après quelques heures, une partie du jus est extraite pour être vinifiée séparément, alors que le solde est laissé en cuve pour donner du vin rouge. On obtient ainsi des rosés globalement plus colorés et plus gras, même si, là aussi, divers facteurs peuvent nuancer la couleur.