L’introduction de la «taxe poubelle» aura été l’objet de toutes les conversations des cafés vaudois en ce début d’année. Comme elle l’a été l’an dernier à Neuchâtel. Comme elle le fut vraisemblablement, il y a presque 40 ans, à Saint-Gall, le pionnier suisse dans le domaine. Puis dans la totalité des cantons alémaniques (Nidwald excepté), suivis de Fribourg et d’une grosse partie du Jura. Et comme elle le sera, enfin, dans les autres communes vaudoises et jurassiennes qui s’apprêtent à faire, elles aussi, le grand saut.
Il n’y a donc, désormais, plus que Genève et le Bas-Valais à ignorer l’arrêt prononcé par le Tribunal fédéral en juillet 2011: l’élimination des déchets doit être financée, au moins partiellement, par une taxe incitative (au sac ou au poids). Et la part payée par l'impôt, réservée à l’élimination des déchets spéciaux, ne doit pas dépasser 30%. Ajoutez à cela la taxe forfaitaire, qui couvre les frais de déchetterie et de recyclage, et vous voilà avec toutes les données en main.
Problème toutefois: nous sommes dans une Confédération! Chaque canton a donc adapté la loi à sa façon, en laissant une grande marge de manœuvre aux communes. Nous voici, dès lors, avec 805 approches en Suisse romande, parfois légèrement différentes, d’autres fois diamétralement opposées.
Or, il n’existe pas de coordination en la matière, ni même une banque de données permettant de savoir qui fait quoi. Nous avons donc relevé nos manches et tenté de combler cette lacune, en envoyant un questionnaire à toutes les communes romandes (lire encadré). Ce qui nous permet de faire un premier état des lieux.
Le prix du sac
Il n’y a que deux points sur lesquels les 130 communes vaudoises qui ont introduit la taxe au sac le 1er janvier dernier se sont entendues: sa couleur et son prix (2 fr. le sac de 35 l). Mais, si on tient compte de celles qui les ont précédées, il varie de 1.30 fr. à 3 fr. dans le canton de Vaud. Et de 1.20 fr. à 3.50 fr. en Suisse romande. L’incitation à trier est donc nettement plus pressante à Cerniat (3.50 fr.) qu’à Orbe (1.30 fr.)!
Plus rare: certaines communes (35 parmi les 370 recensées dans notre banque de données) ont préféré la taxe au poids. Bassins (VD), par exemple, demande 85 ct. le kilo, Val-de-Travers (NE) 40 ct. et Delley-Portalban (FR) 25 ct.
Et puis, il y a toutes celles qui ne veulent rien entendre, estimant qu’elles peuvent faire aussi bien sans passer par la contrainte. Les 45 communes du canton de Genève notamment. «Il y a 10 ans, justifie Bruno Stämpfli, délégué à la Gestion des déchets de Lancy, chaque habitant de ma commune produisait 360 kilos de déchets incinérables. Grâce à une politique d’information intense, la création de nombreux points de récupération (pas plus de 200 m de n’importe quel domicile) et un ramassage porte à porte de tous les déchets, nous avons réduit ce total à 222 kilos. Notre taux de recyclage est donc presque de 46%, pas loin de la moyenne suisse (51%). Comment expliquer à la population, qui a fait des efforts considérables, qu’elle doit aujourd’hui quand même payer?»
Même opposition de principe en Valais: «Le Parlement n’a pas souhaité légiférer en la matière, explique Cédric Arnold, chef du Service de l’environnement cantonal. Mais les communes sont liées par le droit fédéral: à elles de l’appliquer individuellement.» Un message entendu par toutes celles du Haut-Valais alémanique, mais pas par celles du Bas-Valais romand.
Variations forfaitaires
De toute façon, les communes qui couvrent la totalité de l’élimination des déchets avec la seule taxe au sac se comptent sur les doigts d’une main. Les autres complètent son financement avec une taxe forfaitaire ou/et une part de l’impôt.
Or, là aussi, le montant, comme la façon de calculer sont très différents d’un endroit à l’autre. Pour une famille de deux adultes et de deux enfants, la taxe varie, en effet, de 30 fr. à 400 fr.! La plupart des communes exonèrent les enfants jusqu’à un certain âge (17 ans à Orny, 19 ans à Echallens, 21 ans à Bulle, 25 ans à Dully…). De son côté, Lausanne préfère ristourner une certaine somme (80 fr. par an et par individu) via la facture d’électricité: il est vrai que la capitale vaudoise calcule cette taxe en fonction du volume de l’appartement ou de la maison occupée…
Il ne nous a pas été possible, à quelques rares exceptions, d’obtenir la part de l’impôt qui vient compléter cette taxe. En revanche, nous avons demandé dans tous les cas s’il avait baissé lors de l’introduction de la taxe incitative, ce qui semblerait logique. Or – on s’en doute –, la réponse est souvent négative avec, parfois, un commentaire laissant entendre que, sans cette manne bienvenue, il aurait, en revanche, augmenté. Certaines communes ont, cependant, consenti à un effort: Delémont a diminué sa taxe de base de 174 fr., Sainte-Croix (VD) a réduit ses impôts de 2 points et supprimé la taxe non pompier, etc.
Allégements spéciaux
D’autres contributions permettent d’alléger la nouvelle charge financière. La plupart des autorités offrent ainsi des rouleaux de sacs aux familles avec des enfants en bas âge. Exemple très généreux: Romainmôtier-Envy (VD), qui a choisi la taxe au poids, «offre» 100 kilos par an et par enfant de 0 à 3 ans, puis 50 kilos jusqu’à 20 ans, mais aussi 20 kilos aux étudiants, bénéficiaires AVS/AI, chômeurs ou adultes en formation et encore 100 kilos aux personnes souffrant d’incontinence. Alors que rien n’a été prévu dans d’autres communes…
Sanctions en cas d’infraction
Autre sujet qui fâche: les sanctions lorsque le consommateur ne joue pas le jeu (utilisation de sacs non taxés, mauvais tri, tourisme des ordures, incinération illégale, etc.). Presque tout le monde a prévu des amendes, pouvant aller de 20 fr. à… 1000 fr. (après plusieurs récidives, il est vrai). Mais, l’expérience le prouve, une fois le système rodé, les réfractaires et les tricheurs se raréfient: ils ne sont plus que 5% à Neuchâtel et entre 1% et 2% dans les communes alémaniques.
Premier bilan
Tout ça pourquoi? Pour des résultats dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont spectaculaires! «Nous avons mené une étude, en 2003 déjà, démontrant que les communes qui ont introduit la taxe au sac ont diminué la quantité de déchets incinérables de 30%», explique Michael Hügi, de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).
Ce que confirme Yves Lehmann, chef du Service cantonal énergie et environnement à Neuchâtel: «Le bilan est excellent, même s’il s’est un peu tassé par rapport aux trois premiers mois (effet de nouveauté). Nous avons cependant largement rejoint la moyenne suisse (plus de 50%), alors que nous étions encore parmi les plus mauvais élèves en matière de triage avant l’introduction de la taxe au sac.
Itou à Yverdon-les-Bains (18 mois d’expérience): «Après un an, nous avions réduit les déchets ménagers incinérables de 47%, confirme Marc-André Burkhard, municipal des Travaux et de l’Environnement. Et augmenté le recyclage des déchets compostables de 49% et celui du PET de 72%!»
D’ailleurs, toujours selon l’étude de l’OFEV, 87% des personnes interrogées dans les communes concernées estiment que le jeu en vaut la chandelle et la charge financière est acceptable. Et il ne s’en trouve que 3% à souhaiter revenir en arrière, 10% estimant simplement que l’opération est trop onéreuse.
Christian Chevrolet / Carole Despont
Bonus web:comment trier aux mieux ses déchets pour limiter les frais
Qui fait quoi dans votre commune?
370 communes romandes ont répondu à notre questionnaire, et figurent donc dans notre banque de données.
Pour chacune d’entre elles, une fiche indique le système en vigueur (+ celui qui est prévisible si la taxe au sac n’est pas encore introduite), les différents montants à payer par les habitants et les mesures prises par les autorités pour alléger la nouvelle charge financière que représente la taxe au sac.
Ces informations sont disponibles sur notre site sous la rubrique –> Services –> Déchets ménagers.