Le déficit chronique de sommeil est un fléau pour la santé. Sur la durée, les nuits trop courtes ont des effets délétères sur le métabolisme, la capacité de concentration, l’humeur, et peuvent être à l’origine de graves maladies.
Longtemps mal vue dans une société qui valorise le travail, la sieste peut devenir un véritable allié chez l’adulte, quand la dette s’accumule, c’est-à-dire quand le manque de sommeil devient régulier et constant. De nombreuses études tendent à souligner les bienfaits de ce repos diurne trop négligé: la sieste restaure la vigilance, réduisant ainsi les risques d’accident de la route, et améliore les performances cognitives et la mémoire. Elle renforcerait aussi le système immunitaire, diminuerait le niveau de stress et la sensibilité à la douleur.
Inégalité face au sommeil
La relation à la sieste est en grande partie culturelle. En Chine, c’est un droit inscrit dans la Constitution depuis 1948. Dans nos contrées, elle est encore souvent considérée comme une perte de temps. Pourtant, la propension à y succomber est naturelle et dictée par l’horloge biologique. Chacun n’en ressent pour autant pas le besoin ou n’a pas la possibilité d’y céder. «Nous sommes très inégaux devant le sommeil. Certains s’en sortent très bien avec six heures par nuit, alors que d’autres ont besoin de plus de neuf heures», rappelle Raphaël Heinzer, directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Les besoins diffèrent en fonction d’une multitude de critères, dont l’âge et l’état de santé. Ils sont aussi déterminés par le patrimoine génétique. «L’important est que les gens apprennent à connaître leurs besoins», relève Raphaël Heinzer. Les vacances sont un moment propice pour identifier les horaires de lever et de coucher ainsi que la durée de repos nécessaire. Dans la mesure du possible, il faudra ensuite mettre en pratique ces enseignements durant le reste de l’année et faire preuve de discipline.
Pas pour les insomniaques
Attention! Piquer un petit roupillon pendant la journée n’est pas recommandé pour tout le monde. C’est même à éviter pour les personnes qui ont des difficultés à s’endormir ou à avoir un sommeil continu, car le repos diurne dilue le besoin de sommeil pendant la nuit. L’insomnie, qui touche 20 à 30% de la population, est la principale pathologie pour laquelle la sieste n’est pas conseillée. «C’est une règle d’or: la suppression de la sieste fait partie du traitement de l’insomnie chronique», relève Grégoire Gex, responsable du Centre du sommeil de l’Hôpital du Valais.
Les autres n’ont aucune raison de se priver d’un petit moment de repos de temps à autre. Quant à la durée de la sieste, elle dépendra de l’état de fatigue et du but recherché. De la pause de quelques minutes au cycle complet de 90 minutes, en passant par le repos de 20 à 30 minutes, les effets ne sont pas les mêmes sur l’organisme (lire «Le casse-tête de la durée»). Quoi qu’il en soit, il ne faut pas nécessairement qu’elle soit longue pour être utile et efficace.
Échapper à l’inertie au réveil
«Une durée de 15 à 20 minutes est idéale», estime Katerina Espa Cervena, psychiatre au Centre de médecine du sommeil Cenas, à Genève. Elle permet de restaurer la vigilance et la capacité de concentration, sans entrer dans une phase de sommeil profond. Au-delà, il y a un risque d’inertie au réveil, qui s’accompagne d’un état de confusion et d’une sensation de fatigue plus importante qu’avant le repos.
Des siestes plus longues sont nécessaires pour obtenir les mêmes bienfaits qu’une nuit de sommeil. Elles sont notamment efficaces pour les travailleurs de nuit ou en cas de forte dette de sommeil. Le réveil sera par contre plus difficile. Les périodes de plus d’une heure risquent également de perturber les nuits et de provoquer des insomnies. Chez les personnes âgées, elles sont, en outre, souvent associées à un déclin cognitif et à une dégradation de l’état de santé.
Idéal en début d’après-midi
Quand faut-il s’accorder un petit somme? La période du début de l’après-midi est la plus réparatrice. Elle est suivie d’une plus faible inertie au réveil, relèvent les experts. De plus, on aura probablement moins d’effets nocifs sur la qualité du sommeil nocturne.
Reste à apprivoiser l’art de la sieste. La facilité à s’endormir durant la journée dépend beaucoup de l’habitude. Par manque de pratique, le temps d’endormissement peut donc se révéler assez long les premières fois. Les novices sont souvent déconcertés. Des exercices de relaxation et de respiration peuvent s’avérer utiles. Grégoire Gex préconise de faire des essais en limitant la durée à l’aide d’un réveil. On pourra ainsi faire des ajustements afin d’éviter l’état d’inertie.
Bien qu’elle possède de nombreuses vertus, la sieste ne vient cependant qu’en renfort et ne saurait remplacer le repos nocturne. «Il est fortement conseillé d’essayer d’améliorer d’abord son sommeil de nuit, en adaptant son rythme et en soignant son hygiène du sommeil, plutôt que de compenser en dormant durant la journée», rappelle Katerina Espa Cervena. Si malgré tout, on souffre quand même de somnolence, il faut consulter son médecin traitant ou un spécialiste. C’est peut-être le signe d’une pathologie du sommeil, conclut-elle.
Alexandre Beuchat
Éclairage: S’assoupir au travail, pas si simple!
Faire une sieste sur son lieu de travail reste souvent une pratique taboue. Des grandes entreprises ont osé lui dédier des espaces, davantage dans l’optique d’améliorer la productivité que dans un souci de santé publique. D’autres sociétés proposent des capsules de siestes, qui permettent de s’isoler au milieu des «open space». Pour la majorité des petites et moyennes entreprises (PME), ce n’est toutefois pas entré dans les mœurs. Faut-il dès lors instaurer un droit à la sieste, à la manière de la Chine? Grégoire Gex préfère parler de recommandations que de droit. «Actuellement, il n’y a pas assez d’études solides pour créer les bases légales», fait-il remarquer, déplorant le fait que le sommeil reste un parent pauvre de la médecine.
Dans la pratique, «il faut en parler avec son voisinage et son employeur pour éviter que ça soit quelque chose de caché, de honteux», préconise-t-il. Sans lieu dédié à la sieste, comment se reposer? Les salariés doivent trouver la moins mauvaise solution. Sur un siège, le dos droit ou incliné, les pieds au sol ou sur le bureau: tout est possible. A chacun de trouver la position adéquate. L’idéal est allongé sur un lit ou un canapé. À défaut, il est recommandé d’incliner le dossier d’au moins 40 degrés par rapport à la position assise et de maintenir la nuque à l’aide d’un coussin. On optera également pour un endroit calme et sans trop de lumière.
Le télétravail, popularisé par le coronavirus, a récemment changé la donne. Le «home office» rend en effet plus aisé la pratique de la micro-sieste en début d’après-midi, moment propice pour s’assoupir. «Avec le travail à distance, les employés peuvent enfin dormir selon leur propre rythme, par exemple ne pas se lever trop tôt», observe Raphaël Heinzer. L’aspect négatif, c’est que certaines personnes perdent leurs repères temporels. Le risque est de diluer le sommeil et de perturber son horloge interne. Or, notre cerveau adore la régularité, fait remarquer le directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV.
Zoom: Le casse-tête de la durée
Entre quelques minutes et une heure et demie, l’éventail de durée d’une sieste est large.
En résumé, quelques repères issus du livre «Sauvés par la sieste», de Brice Faraut, chercheur en neurosciences au Centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel-Dieu à Paris:
Sieste de 10 minutes
+ garantit un réveil énergique
+ très efficace sur le court terme pour lutter contre la somnolence et améliorer les performances cognitives
+ idéale pour recouvrer rapidement des capacités physiques et intellectuelles ponctuellement diminuées
- insuffisante en cas de dette de sommeil importante et de fatigue installée
Sieste de 20 à 30 minutes
+ atténue la douleur, le stress et renforce l’immunité
+ stimule la vigilance pendant plus de deux heures
+ améliore l’humeur
- peut provoquer une inertie au réveil premiers
- effets positifs après 20, 30 minutesrequiert au moins 30, 40 minutes de disponibilité
Sieste de 1 à 2 heures
+ idéale pour rembourser plus rapidement une dette de sommeil
+ efficace avant d’entreprendre un travail de nuit: améliore significativement la vigilance et les performances cognitives pendant les cinq heures, au moins, qui suivent le réveil
- inertie au réveil
- chez certaines personnes âgées, les siestes longues peuvent dérégler le rythme du sommeil et être associées à un déclin cognitif ainsi qu’à une augmentation des risques cardiovasculaires