La Suisse vend à l’étranger son image de pays «écolo». Il est vrai que plus de la moitié de l’électricité (55% en moyenne, soit 35 milliards de kWh en 2011) est une énergie propre issue de ses 1500 barrages hydroélectriques. La part du nucléaire n’est, chez nous, «que» de 40%, alors que les énergies fossiles ne dépassent pas quelques pour cent, faisant jeu égal avec les énergies douces (hors hydraulique). Mais, bizarrement, ces chiffres ne correspondent pas à la composition, nettement moins reluisante, du courant circulant dans les «tuyaux».
En effet, si la Suisse s’est bel et bien engagée sur la voie de la sortie du nucléaire et qu’elle devra, de ce fait, investir massivement dans les énergies renouvelables, rien n’empêche – pour l’heure – les fournisseurs de faire leurs emplettes sur les marchés européens. Certains ne s’en privent pas, sachant que le «mix» y est proposé parfois à moins de 5 ct./kWh pour être revendu trois ou quatre fois plus cher. Ce «mélange» contient essentiellement des énergies non renouvelables, soit environ 30% de nucléaire et 50% de gaz et de charbon (voir le site – en anglais – www.entsoe.eu). Ainsi, certains consommateurs suisses, persuadés de consommer une électricité «made in Switzerland», s’éclairent, de fait, au charbon allemand et cuisinent au nucléaire français. Et, parallèlement, 41% de notre électricité hydraulique est exportée à l’étranger.
Appellation d’origine non contrôlée
Depuis 2006, les fournisseurs ont l’obligation d’indiquer la provenance des électrons aux consommateurs. Mais encore faut-il la connaître! Car l’électricité importée est, le plus souvent, vendue sans certificat d’origine. Elle apparaît alors sous l’appellation «agent énergétique invérifiable». En 2011, les entreprises qui livrent leur électricité aux consommateurs annoncent, en moyenne, une part de 11,36%. Mais, dans le détail, on remarque sur le site www.stromkennzeichnung.ch (conçu par l’Association des entreprises électriques suisses) qu’une cinquantaine de ces producteurs commercialisent plus de 50% d’électricité non vérifiable!
A commencer par le principal fournisseur de la Suisse occidentale, Romande Energie, qui avoue pas moins de 75,8% d’électricité d’origine indéterminée. A leur échelle, certains petits producteurs font plus fort encore. En Valais, particulièrement – un canton pourtant riche en barrages. Ainsi, les sociétés électriques de Binn, Riedbach ou de la vallée du Lötschen s’approvisionnent exclusivement en électricité grise, alors que les Services industriels de Monthey affichent une part de 99,7%, et Sierre-Energie de 99%.
Transformation rentable
A Neuchâtel, on retrouve six entreprises annonçant 75% d’électricité anonyme et trois compagnies à Fribourg. Le Jura et Genève font exception en Suisse romande. Dans le premier canton, la part non vérifiable se situe partout au-dessous de 6%, alors que le «mix» des Services industriels Genevois (SIG) n’en contient pas du tout.
Pour Pierre Vaneck, ancien administrateur des SIG et opposant au nucléaire, les consommateurs sont bel et bien trompés sur la marchandise, ce qui plaide, selon lui, contre la libération du marché de l’électricité, marché opaque s’il en est. Cela dit, rien ne sert de consommer ici du courant «vert», pour laisser à d’autres les énergies sales. C’est donc, d’après lui toujours, au niveau de la production que les efforts doivent être portés en priorité, à l’échelle du pays, voire, on peut rêver, au niveau européen…
Philippe Chevalier
«Que du papier»…
Interpellée, Romande Energie précise que la totalité de sa production est d’origine renouvelable (essentiellement hydraulique), mais que cela ne couvre que 20% des besoins de sa clientèle. A défaut, la plus grosse part est donc achetée au géant Alpiq, dont le «mix» est composé, au niveau européen, de 49% d’hydraulique, de 13% de nucléaire et de 37% de fossile.
Pour sa part, Nicolas Antille, directeur de Sierre-Energie, confirme que sa société n’a pas de production propre. Pour lui, les – coûteux – certificats ne sont jamais «que du papier» dont les électrons qui courent dans les lignes n’ont que faire...