Cette histoire invraisemblable débute de manière anodine. A l’occasion de ses 65 ans, François Venzin, de Delémont (JU), reçoit un smartphone, qu’il souhaite protéger avec un étui et un verre de protection. Il passe commande pour une vingtaine de francs sur la version francophone du site aliexpress.com qu’il ne connaissait pas et qu’on lui a recommandé. Commerce en ligne appartenant à la multinationale chinoise Alibaba Group.
Jusque-là, tout va bien. Les choses se gâtent lorsque notre lecteur reçoit un courriel d’Alibaba en anglais quelques jours plus tard. «Je ne maîtrise pas cette langue, j’ai pensé qu’il y avait un lien avec ma commande et que, en versant le montant demandé, un peu moins de 3 dollars, plus précisément «2,999 USD», je bénéficierais d’un meilleur suivi ou d’un envoi en courrier rapide.» Vu la modestie du montant demandé, il accepte, sans prendre la peine de faire traduire le texte.
Une virgule pour les milliers
Mais, lorsque François Venzin reçoit le décompte mensuel de sa Cumulus-MasterCard, c’est le coup de massue! Le versement s’est, en fait, monté à 2999 USD, soit 2965 fr. environ. A l’origine de cette incroyable méprise, l’usage de la virgule dans les nombres. En anglais, elle est utilisée comme séparateur de milliers, contrairement au français qui s’en sert comme séparateur de décimale: 2,999 USD signifie donc deux-mille-neuf-cent-nonante-neuf dollars et non pas 2 dollars et 99 cents.
«J’ai aussitôt fait opposition auprès de Cembra, l’émetteur de ma carte», relate notre lecteur. La société rejette sa demande, arguant qu’il a confirmé son achat en ligne par l’introduction de son code de sécurité. Elle lui conseille, dans le même temps, de contacter Alibaba, afin de tenter de régler la situation (lire encadré). De son côté, sa protection juridique Protekta botte en touche en invoquant ses conditions générales. Ces dernières stipulent que la couverture pour les contrats de vente s’applique uniquement lorsque le for du tribunal compétent se situe en Suisse et le droit helvétique applicable. Alibaba étant basée en Chine, le droit de l’Empire du Milieu est applicable à la commande.
«Fournisseur en or»
En effectuant un versement de près de 3000 fr. notre lecteur a, sans s’en rendre compte acheté le «gold supplier» d’Alibaba. Il s’agit d’un statut qui a été créé pour les sociétés qui proposent leurs produits sur le site chinois, essentiellement destiné à la vente en gros. Il propose divers avantages, comme un ranking prioritaire ou un affichage illimité de produit. Mais, assez ironiquement dans le cas présent, il est aussi supposé rassurer les acheteurs sur la fiabilité du fournisseur, Alibaba se chargeant de diverses vérifications.
Bien évidemment, notre lecteur, qui n’est qu’un simple consommateur retraité, ne présente pas les conditions requises par la multinationale pour en faire partie. Aidé par son fils, qui maîtrise l’anglais, il a donc contacté Alibaba. Après un échange de plusieurs mails, le géant chinois a récemment fini par accepter de le rembourser et lui a demandé ses coordonnées bancaires. L’affaire s’oriente donc vers une issue heureuse, même si François Venzin ne sera soulagé que lorsqu'il aura reçu le remboursement promis.
Sébastien Sautebin
Dans la pratique
Contacter le vendeur et l’émetteur au plus vite
Que faire en cas de problème avec un achat sur internet? «Si un client a acheté quelque chose par erreur, nous lui recommandons toujours, en premier lieu, de s’adresser au commerçant pour essayer de trouver un arrangement», explique Nadine Geissbühler, porte-parole de Viseca, un des principaux émetteurs de cartes de crédit en Suisse.
Lorsqu’aucune solution n’a été trouvée, elle rappelle que le titulaire de la carte «peut faire objection au décompte mensuel reçu dans les 30 jours». L’émetteur va alors examiner le dossier, notamment la confirmation de commande et la correspondance avec le vendeur. Viseca précise néanmoins qu’elle ne pourra soutenir un titulaire de carte voulant annuler une commande valable, sans faute du vendeur, que si les conditions générales de vente acceptent un retour ou une annulation.
De son côté, l’ombudsman des banques, Marco Franchetti, conseille d’avertir l’émetteur de la carte le plus rapidement possible. Ce dernier peut aider le client à établir un contact avec le vendeur, si le versement a déjà été effectué. Dans le cas où le montant n’a pas encore été transféré, la transaction peut être bloquée le temps que la situation soit éclaircie. Divers éléments peuvent entrer en ligne de compte dans la décision finale de l’émetteur. «S’il s’agit de bons clients qui n’ont jamais eu de problèmes, les sociétés sont souvent prêtes à faire un effort», constate le médiateur.