Le béton, on connaît: du ciment, de l’eau, du sable, et le tour est joué. Mais le «béton ciré», aussi appelé «chape glacée, ciment teinté», c’est une tout autre histoire. A l’origine, le béton est un matériau relativement bon marché utilisé pour ses qualités fonctionnelles, notamment sur les sols de bâtiments industriels, de garages ou d'entrepôts. Ce n’est que depuis quelques années que ce revêtement a fait son entrée dans les intérieurs «bourgeois» où ses (faux) airs underground et la touche personnelle qu’il apporte séduisent de plus en plus d’adeptes. Paradoxalement, autant le béton «brut de décoffrage», utilisé dans la construction de masse, a mauvaise réputation, autant son successeur, revu et corrigé par la «génération loft», est devenu un produit tendance et exclusif.
La toile regorge de sites à sa gloire autant que de spécialistes autoproclamés. Il faut dire qu’on peut pratiquement tout faire avec lui: des sols mais aussi des parois murales, des bacs de douche, des éviers, des meubles de cuisine et même des radiateurs. Pour ses promoteurs, il combine les propriétés de la pierre naturelle et la fluidité du ciment. On découvre alors que le béton n’est pas froid. Qu’il n’est pas nécessairement gris – à part pour quelques puristes. Et, surtout, que c’est un produit original, vivant, qui évolue avec le temps, change de couleur, se patine… Certains le qualifient même d’écologique, eu égard à sa solidité et à sa longévité, oubliant tout de même que la fabrication du ciment utilise énormément d’énergies fossiles. Enfin, il se marie étonnamment bien avec des matériaux nobles, tels que le bois, le métal ou la faïence.
Matériau de tous les dangers
Matériau de tous les superlatifs donc, mais, attention, de l’aveu même d’un spécialiste genevois, c’est aussi le «revêtement de tous les dangers». Avec le béton ciré, on est, en effet, dans le domaine de l’artisanat. Chacun l’utilise à sa sauce. Sans compter le coup de main, pas évident à maîtriser, même pour des «pros». Comme il n’existe pas d’association professionnelle, le premier réflexe avant d’entamer des travaux sera donc de vérifier les références de l’entreprise.
Il existe, grosso modo, deux méthodes de mise en œuvre.
Certains se contentent de couler une chape de 0,5 à 2 cm qui sera ensuite minutieusement poncée. La surface est alors recouverte d’un enduit de protection à base de cires, d'huiles ou de vitrificateurs de parquets, selon l’usage et le rendu attendu.
Une autre méthode, plus exigeante, consiste à étaler à la spatule plusieurs couches successives de mortier ciment fluidifié, sur une surface totale de quelques millimètres, qui seront également recouvertes d’une ou de plusieurs couches de protection. Stephane Voitchovsky, directeur de l’entreprise du même nom, insiste alors sur le soin à apporter à la préparation des fonds sur lesquels le ciment sera étalé. La chape doit être réalisée avec beaucoup de rigueur et les joints de dilatation seront posés dans les règles de l’art, au risque de provoquer des retraits et des fissures irréversibles, à moins d’utiliser un marteau-piqueur...
«C’est trop de problèmes!»
Outre les malfaçons, il arrive également souvent que le résultat final ne corresponde pas aux attentes du client. «N’écrivez pas dans votre article que nous réalisons des chapes glacées, c’est trop de problèmes», nous a ainsi confié une professionnelle. Pour éviter les déconvenues, il est indispensable de bien discuter avec l’entreprise de ce qu’on recherche et de demander des échantillons avant de se lancer dans l’aventure. Il faut, une fois encore, garder à l’esprit que le béton n’est ni uniforme ni inerte. Avec le temps, il aura notamment tendance à s’éclaircir et à se parer, parfois, de microfissures. Certains professionnels utilisent divers adjuvants garantissant un produit qui ne bouge pratiquement pas. Mais d’autres, adoptant une posture plus «artistique», méprisent ces bétons très léchés, estimant que les taches et même les fissures sont la marque du seul «vrai béton». Deux approches qui se valent, à condition de se mettre d’accord au départ…
Enfin, du fait que sa mise en œuvre demande de nombreuses heures de travail qualifié, le béton ciré n’est pas à la portée de tout le monde. Selon les entreprises que nous avons contactées, il faut compter entre 150 fr. et 200 fr. le mètre carré. Soit deux à trois fois plus cher qu’un carrelage.
Philippe Chevalier