Du béton, des peintures, des carrelages, des pavés ou encore des vitres qui dépolluent l’air et/ou s’autonettoient? Digne de Merlin l’Enchanteur! Ces produits sont pourtant commercialisés et ils n’ont pas été créés par des illuminés New Age basés sur le plateau du Larzac. Parmi les fabricants, on trouve de grands groupes industriels, comme l’allemand Sto AG, le français Saint-Gobain ou les Ciments Calcia, appartenant à l’italien Italcementi Group.
Leurs produits agissent par photocatalyse (lire encadré). «Un processus dont l’efficience chimique est prouvée scientifiquement et n’est pas contestée», souligne Christian George, directeur de recherche au CNRS à Lyon et spécialiste du domaine. De l’immeuble à la route, de nombreux matériaux peuvent être dotés de propriétés photocatalytiques par adjonction de dioxyde de titane.
Flop en Suisse
Pourtant, ces produits ne forment qu’un marché de niche chez nos voisins et sont quasiment inconnus dans notre pays. Michael Leipold, dont la société Nocorro, à Mont-sur-Rolle (VD), commercialise «en exclusivité» suisse des peintures et des ciments photocatalytiques fabriqués par une filiale d’Italcementi Group, confie ainsi que ses ventes dans le domaine frôlent tout bonnement le zéro absolu! La sentence est sans appel: «ça n’intéresse personne.»
Une motion déposée à Genève, en 2008, demandait pourtant que l’utilisation de ces matériaux soit encouragée par le canton. Mais le Conseil d’Etat a répondu qu’il ne souhaitait pas encore les utiliser à large échelle sur ses chantiers, ni les encourager pour les privés. Le rapport des experts mandatés pointait en effet différents problèmes, dont le coût. Si Michael Leipold assure que sa peinture dépolluante n’est que 15% plus chère, le rapport affirme que le béton lié avec un ciment contenant du dioxyde de titane (TiO2) revient à 3,7 fois le prix d’un béton normal. En ces temps de disette, pas étonnant que les pouvoirs publics et les privés se montrent frileux.
Laboratoire et terrain
Nos voisins ont malgré tout utilisé la photocatalyse dans diverses constructions, comme l’église Dives in Misericordia, à Rome, la place Tanucci de Florence, la Cité des arts de Chambéry et l’hôtel de police de Bordeaux. Mais, au fur et à mesure que des tests ont été effectués en grandeur nature, plusieurs problèmes sont apparus. Une étude réalisée sur une portion de route à fort trafic, à Vanves, en France, a par exemple montré que, en cas de vent, il n’y avait pas de réduction significative de la pollution. De plus, l’encrassement de la chaussée a induit une perte d’efficacité. De quoi remettre en question l’efficience constatée en laboratoire, où la dépollution de l’air atteint de 20% à 80%.
Mystérieuses nanoparticules
Mais il y a un autre problème. César Pulgarin, professeur à l’EPFL, qui a travaillé sur la photocatalyse dans le domaine de l’eau, où le processus s’avère très efficace, souligne que l’utilisation de ces matériaux est notablement freinée «par la vive controverse concernant leur potentiel toxique».
En cause, les nanoparticules de dioxyde de titane. La science a découvert qu’elles présentent des comportements extraordinaires et les scientifiques manquent de connaissances en ce qui concerne leurs éventuels effets sur les organismes vivants. «A l’heure actuelle, il n’a pas encore été démontré quoi que ce soit de toxique», remarque néanmoins César Pulgarin. Mais l’expérience catastrophique de l’amiante incite désormais à «une précaution exacerbée», pour reprendre le qualificatif du scientifique.
Une prudence adoptée d’ailleurs par le Conseil d’Etat genevois. Eric Leyvraz, auteur de la motion, se dit, en revanche, totalement satisfait de la peinture au dioxyde de titane qu’il a fait poser sur la façade de son bâtiment à Satigny: «Elle est restée comme neuve et elle dépollue l’air.»
Sébastien Sautebin
Dépolluant et autonettoyant
Les produits photocatalytiques contiennent un catalyseur, généralement du dioxyde de titane (TiO2). Ce dernier est activé par la lumière UV naturelle ou celle artificielle. Les molécules organiques et inorganiques sont alors absorbées et décomposées au contact de la surface traitée.
Le processus peut neutraliser chimiquement des polluants comme les oxydes d’azote (NOx) provenant des combustibles fossiles, les composés organiques volatils (COV), l’ozone, mais aussi les bactéries, les moisissures ou encore les champignons. Selon les composés et les proportions utilisées, le matériau devient, au contact de la lumière, dépolluant et/ou autonettoyant.