Le 1er janvier 2010, au terme d’un contrat de dix ans, Adrien Emmelot aura perdu près de 40% du capital investi dans une assurance vie à prime unique et liée à des fonds de placement.
«A l’époque, j’avais jugé intéressant de compléter ma rente viagère par quelque chose de lié à la Bourse, explique ce lecteur. Raison pour laquelle j’avais pris contact avec plusieurs assureurs, avant de porter mon dévolu sur un produit Elvia, nommé Invest Life. Lors de la conclusion du contrat, à la fin de 1999, l’assureur m’avait bien expliqué que la garantie de rendement n’était pas totale, mais que, selon leur expérience, même en se montrant très pessimiste, on pouvait tabler sur un intérêt annuel de 5%. Arrivé en 2010, j’aurais donc dû constituer une réserve supplémentaire de 50 000 fr. au moins. J’envisageais, alors, d’utiliser ce bénéfice pour voyager avec mon épouse ou pour donner un coup de main aux enfants. Aujourd’hui, au lieu de gagner 50 000 fr., je les ai presque entièrement perdus.»
La mauvaise décennie
Avec le recul, on réalise que l’année 2000 était, en fait, une fort mauvaise période pour conclure une police d’assurance liée à des fonds de placement d’une durée de dix ans. La décennie est, en effet, marquée par deux crises économiques majeures: en 2002-2003 et l’actuelle depuis le courant de 2008. Elles ont eu un effet d’autant plus néfaste que le capital de notre lecteur était massivement investi en actions. Il avait, effectivement, choisi de répartir ses avoirs dans deux fonds associés au produit d’assurance Life Invest.
- 80% dans le Fonds Pictet Valsuisse (aujourd’hui appelé Pictet Swiss Equities), constitué de 100% d’actions;
- 20% dans le Fonds Pictet 4e pilier (depuis, nommé Pictet Funds LPP-40), constitué en moyenne de 40% d’actions.
La stratégie adoptée était donc dynamique. Elle offrait certes de grandes perspectives de rendement, mais comprenait également une importante part de risque, vu la forte proportion d’actions.
Une brève remontée en 2007
Le résultat s’observe dans le tableau ci-contre. Une fois les frais divers déduits (lire Des pertes doublées de frais), il restait 92 208 fr. de capital à placer. En 2001, ce capital augmente de 4797 fr. et passe à 97 005 fr. Mais trois ans en plus tard, il n’est déjà plus que de 51 174 fr.! La première crise passée, il faudra quatre ans pour le remettre à flots et atteindre le record de 101 056 fr. en février 2007, avant qu’il ne replonge de manière fulgurante à 58 055 fr. en février dernier, sous l’effet de la seconde crise de la décennie. Peut-être remontera-t-il un peu d’ici à la fin de l’année, et donc à l’échéance du contrat, mais jamais cela ne suffira évidemment à rattraper les pertes.
Adrien Emmelot aurait-il pu limiter les dégâts? En théorie, oui, car il avait la possibilité de placer son patrimoine sur un autre fonds de la gamme, à tout moment. «Allianz Suisse propose aux particuliers des fonds conservateurs qui sont moins risqués, explique aujourd’hui Bernd de Wall, porte parole de la compagnie qui a, entre temps, racheté Elvia. Dans les cas extrêmes, le client peut redistribuer l’intégralité de son placement sur un Money Market Fonds, complètement hermétique aux fluctuations du marché. Si de telles opérations financières avaient été appliquées en 2007, M. Emmelot aurait pu conserver la valeur de l’époque.»
Mais encore aurait-il fallu que notre lecteur puisse prévoir une crise qui, en 2008, a pris par surprise même les professionnels et aussi savoir qu’il fallait investir dans un Money Market Fonds. A aucun moment, la compagnie d’assurances ne lui a conseillé de le faire. Dans la réponse adressée à Tout Compte Fait, elle explique bien qu’il est «judicieux de réduire la part de risque liée aux actions vers la fin du contrat d’assurance et que pour ce faire «la redistribution en fonds conservateurs est toujours possible», mais précise surtout qu’«il importe de souligner, ici, qu’Allianz Suisse ne peut pas faire de recommandations de placements».
En résumé: l’assuré doit se débrouiller tout seul.
Des pertes doublées de frais
Notre lecteur était conscient des risques liés aux placements en Bourse et avait donc pris soin de n’y investir qu’une part raisonnable de son épargne. Aujourd’hui, il accepte les pertes, si frustrantes soient-elles, mais est néanmoins très agacé de voir que son capital a également été vampirisé par les nombreux frais facturés par la compagnie d’assurances.
Sur les 100 321 fr. versés à Elvia, au début du contrat, le droit de timbre (2,5%, soit 2447 fr.) et les frais de dossier (5666 fr.) ont en effet aussitôt été ponctionnés. Puis, chaque année, les frais de gestion se sont montés à 421 fr. ainsi qu’une prime de risque pour la prestation en cas de décès oscillant entre 877 fr., les bonnes années, et 2526 fr., en 2009. Soit une déduction totale, à ce jour, de 28 020 fr. (2477 fr. + 5666 fr. + 19 907 fr.). Compensée par seulement quelque 2433 fr. de dividendes, maigres fruits récoltés grâce aux deux fonds de placement et directement réinvestis.
En plus d’être un affreux placement, cette assurance coûte donc aussi très cher. Or, il n’existe pas de loi fixant un plafond aux frais. C’est regrettable, car payer 5666 fr. pour l’ouverture d’un contrat pèse lourd sur le bilan, surtout lorsqu’il s’agit de les amortir sur une durée de dix ans seulement. Il est par conséquent essentiel de tenir compte de tous les frais et d’exiger une information claire et détaillée à leur sujet, lors du choix du produit.
Petite consolation: Allianz Suisse nous a assurés que, au terme du contrat de notre lecteur, aucun frais supplémentaire ne sera imputé. La compagnie dit regretter les pertes encourues par son client et comprendre sa colère.
Elle signale, aussi, qu’elle offre, depuis peu, l’opportunité d’ouvrir un nouveau dépôt afin d’y transférer la part de fonds de placement des contrats arrivant à échéance. La prestation d’assurance prend alors fin et l’assuré conserve la possibilité de profiter d’une reprise ultérieure.
Mais, Adrien Emmelot a déjà prévu d’investir ailleurs les quelques économies qu’il réussira à récupérer.
Joy Demeulemeester
Pour télécharger le tableau comparatif des produits, se référer à l'encadré au-dessous de la photo.
Plainte auprès de l’ombudsman
L’an passé, près de 20% des plaintes déposées auprès l’ombudsman de l’assurance privée concernait les assurances vie. Et, à l’image notre lecteur, beaucoup d’assurés ont déchanté, arrivés à l’échéance de leur police liée à des fonds de placement souscrite il y a dix ans, les prévisions de bénéfice très optimistes annoncées à l’origine ne s’étant pas du tout réalisées.
Ces plaintes peuvent parfois aboutir lorsque l’assureur a manifestement trompé son client, notamment:
- quand l’assureur a fait miroité des bénéfices irréalistes, bien supérieurs à 10% par exemple;
- quand il n’a pas clairement précisé que le rendement n’était pas garanti.
www.ombudsman-assurance.ch