De six heures du matin à minuit, les atterrissages et les décollages rythment la vie de Gilles et de Brigitte Landry au Grand-Saconnex. Selon la situation de leur bien immobilier, les propriétaires genevois exposés à un bruit excessif ont droit à une baisse de la valeur locative: un coefficient de nuisance influence le montant de cette dernière en fonction des décibels mesurés. Plus ce cœfficient est bas, plus la valeur locative diminue. Ce barème concerne aussi les riverains de l’autoroute ou ceux d’un stand de tir, par exemple.
En 2002, nos lecteurs font une erreur en remplissant le questionnaire qui fixe le montant de la valeur locative*: ils indiquent un coefficient de 0,8, trop bas. L’Administration fiscale cantonale des finances (AFC) revoit la copie: à cette époque, il était de 1 pour la parcelle, ce qui ne donne droit à aucune compensation.
Le couple reporte ce chiffre chaque année, sans se poser de question. En 2020, à la suite d’une réindexation globale de la valeur locative, ils se renseignent sur le coefficient de nuisance. A leur grande surprise, l’AFC leur indique qu’il est de 0,9: en 2009, un autre barème était entré en vigueur. Le montant de la valeur locative pour la maison passe de 35 792 fr. à 32 213 fr., soit 10% de moins.
Au fil du temps, cette erreur a coûté 13 131 fr. au couple (impôt fédéral et cantonal). Les Saconnésiens demandent alors le remboursement de ce montant. En vain: l’AFC fait valoir que quand on reçoit une taxation, il faut réagir dans les 30 jours.
La loi, c’est la loi
Les lecteurs déposent alors un recours au Tribunal administratif de première instance, qui est rejeté. «Le propriétaire a la responsabilité légale de contrôler ou de signaler toute erreur ou mise à jour concernant le calcul de sa valeur locative», confirme Dejan Nikolic, secrétaire général adjoint du Département des finances et des ressources humaines.
«La valeur locative n’est pas immuable», relève-t-il. Elle peut changer lors de la pose de doubles vitrages ou si d’autres nuisances apparaissent, telle la construction d’une route à grand trafic. D’autres coefficients entrent par ailleurs en jeu selon la sorte de logement, sa vétusté ou sa situation: il faut cocher le bon. «Ce propriétaire, qui a approché le fisc à d’autres occasions, aurait dû s’assurer que les données indiquées dans sa déclaration étaient les bonnes», relève l’AFC.
Information bien cachée
L’AFC invite les riverains des pistes à consulter régulièrement le site de l’aéroport et celui du Système d’information du territoire à Genève (SITG). «Cette plateforme était déjà disponible en 2002», fait valoir Dejan Nikolic. On peut aussi s’adresser directement à l’AFC pour obtenir les valeurs actuelles et éviter les erreurs.
Plus facile à dire qu’à faire: l’information n’est pas aisée à trouver sur le site des SITG. Elle reproduit, certes, les courbes de bruit relevées, mais il est quasiment impossible d’interpréter cet écheveau de lignes. «Les propriétaires reçoivent, chaque année, un document qui les renseigne sur la manière de remplir leur déclaration. Or, le fisc ne mentionne jamais cet aspect», regrette l’avocat Jean-Daniel Borgeaud, spécialiste en droit de la construction et de l’immobilier et membre du comité de l’Association des riverains de l’aéroport de Genève.
Difficile, par ailleurs, de comprendre comment les fiscalistes qui ont épluché pendant des années les déclarations de Gilles et de
Brigitte Landry n’ont pas tiqué, même lorsque le barème des courbes de bruit a changé. L’administration aurait pu se montrer aussi proactive qu’elle l’exige de ses contribuables en les informant des changements. Ce coûteux cafouillage aurait pu ainsi être évité.
Claire Houriet Rime
La valeur des immissions influence celle des maisons
La proximité de l’aéroport entraîne des économies fiscales, mais elle péjore la valeur du patrimoine immobilier alentour. Les parcelles situées dans le périmètre de la valeur d’alarme, voire de la valeur limite d’immission, ne peuvent ainsi plus être bâties, ce qui fait chuter drastiquement le prix du terrain. «On passe de plusieurs centaines de francs au m2 à moins de 50 fr.», illustre l’avocat Jean-Daniel Borgeaud. S’ils ne demandent pas une nouvelle expertise de leur bien, les propriétaires paient alors un impôt exagéré sur la fortune. Il faut, là encore, faire preuve d’initiative.
Et c’est sans parler de la liquidation du régime matrimonial à la suite d’un décès ou d’un divorce ou du partage d’une succession: ici encore, il faut faire réajuster la valeur du bien immobilier.