«Le marchandage n’est pas dans la culture européenne.» Telle est la réponse donnée à l’un de nos enquêteurs dans une librairie après avoir demandé un petit geste sur un livre vendu 36 fr.
Et, pourtant, l’enquête menée avec notre partenaire On en parle (RTS La Première) montre que les consommateurs peuvent discuter le prix de vente de certaines marchandises en Suisse. Des petits malins, rodés à l’exercice, parviennent à obtenir fréquemment des rabais importants. Sur la base des astuces qu’ils nous ont livrées (lire «Les astuces des marchandeurs»), quatre de nos enquêteurs se sont rendus dans divers commerces d’un centre-ville romand.
Bilan: le marchandage, ça marche, du moins à certaines occasions! Comme avec ce téléviseur Philips, «pièce restante» dans un magasin, qui le proposait à 999 fr. au lieu de 1099 fr. Extrait de la discussion:
– Est-ce que vous m’accorderiez un rabais sur cet écran? C’est le dernier exemplaire…
– Il est déjà soldé, Monsieur!
– Cela représente encore pas mal d’argent et j’ai peur que ma femme ne soit pas d’accord. Mais, si je lui dis que je peux bénéficier d’un prix spécial, ça devrait la convaincre…
– Je peux descendre à 949 fr.
– 940 fr.?
– D’accord.
Même Les croissants sont négociables
En cinq petites minutes de discussion et quelques sourires, nous avons obtenu une ristourne de 59 fr. Le montant peut paraître modeste, mais il représente malgré tout une baisse de 12 fr. par minute de négociation!
Ce ne fut pas un cas unique. En insistant un brin après avoir essuyé un premier refus, un autre marchandeur a obtenu une réduction supplémentaire de 5% sur deux canapés soldés à 1078 fr. Il a profité d’une proposition de la gérante d’accorder cette faveur à l’achat de trois pièces pour l’obtenir finalement sur les deux objets désirés.
Notre jeune enquêtrice a, de son côté, obtenu une remise de 10% «dans le cadre de la rentrée» lorsqu’elle a innocemment demandé si elle pouvait payer le prix de
11 e imprimé sur le dos du livre au lieu des 17 fr. figurant sur l’étiquette!
Beaucoup d'échecs
Ailleurs, il a quand même fallu batailler ferme pour obtenir une réduction de 50 fr. sur une veste en cuir vendue à la coquette somme de 998 fr. dans une boutique qui venait d’ouvrir ses portes.
Notons enfin qu’il est nécessaire, parfois, d’être aussi tenace qu’un pitbull. Une personne de notre équipe a fini par obtenir un croissant gratuit sur une commande de
20 pièces après s’être fait remballer dans quatre autres boulangeries.
Si nous pouvons nous enorgueillir de plusieurs succès, malgré l’inexpérience de nos enquêteurs, il faut reconnaître que le bilan reste mitigé. En effet, nous avons fait chou blanc dans 20 de nos 24 tentatives. Un taux d’échec sans commune mesure avec celui des marchandeurs que nous avons interrogés et qui se targuent, eux, de réussir dans 80% à 90% des cas.
20 fr. sur 500 fr.: c’est non!
A notre décharge, ces habitués ciblent des secteurs porteurs, comme les assurances, l’automobile, l’ameublement ou l’électronique de loisirs, alors que nous avons visé beaucoup plus large. Et, surtout, nous nous sommes essentiellement rendus dans de grandes enseignes. Or, les fins marchandeurs préfèrent les commerces indépendants, car leurs propriétaires ont un intérêt personnel à ce que la vente se fasse, quitte à consentir un petit sacrifice.
En tous les cas, nos essais ont confirmé qu’il était souvent mission impossible de négocier dans les grandes enseignes, qu’il s’agisse d’une Playstation, d’une machine à café ou de lentilles de contact. Les employés opposent immédiatement une fin de non-recevoir, et cela même si le rabais réclamé est modeste. Nous avons, par exemple, échoué à obtenir une remise de 20 fr. sur une machine à café vendue plus de 500 fr. Sitôt notre demande formulée, la vendeuse s’est éloignée, sans même en référer à sa hiérarchie. Une intransigeance qui pose bien des questions quand on sait que ce modèle se trouve à moins de 430 fr. port compris, sur des sites de vente en ligne. Certaines enseignes nous ont rétorqué qu’elles proposaient des cartes de fidélité ou nous ont renvoyé vers leur boutique outlet qui rassemble les marchandises
soldées.
On regrettera aussi l’inflexibilité de certains petits commerces, comme celui qui a refusé d’abaisser à 40 fr. un couteau de cuisine japonais vendu 45 fr. Une ristourne qui aurait sans doute permis de fidéliser un nouveau client.
Sébastien Sautebin
Dans le détail
Grandes enseignes intransigeantes
Nos prix ne sont pas négociables! La quasi-totalité des grands commerces suisses que nous avons contacté sont intraitables sur le sujet. Parmi eux: Coop, Interdiscount, Fielmann, Lidl ou encore Aldi. «Le marchandage ne fait partie ni des pratiques de notre enseigne ni de celles de notre clientèle», a écrit Alexandre Barras, porte-parole de Manor. Sur le terrain, nos tentatives dans quelques-uns de ces magasins se sont effectivement heurtées à des refus nets. Les deux hard discounters mais aussi Fielmann et Interdiscount défendent leur position en soutenant que leurs prix sont particulièrement bas.
Notons quelques exceptions très partielles. Migros affirme faire preuve d’un soupçon de souplesse, mais uniquement dans ses magasins spécialisés comme M-electronics: «Les modèles d’exposition peuvent parfois être soumis à des discussions de prix.» Intersport, structuré selon un système de franchise, souligne «que les prix indiqués font généralement foi», mais précise que «le client peut toujours demander un rabais ou un cadeau». La réduction maximale tourne autour de 10%.
En pratique
Les astuces des marchandeurs confirmés
En Suisse, certains consommateurs pratiquent avec assiduité l’art du marchandage. Par jeu, mais surtout, bien sûr, pour économiser de l’argent. Car négocier, ça peut payer! Voici quelques témoignages qui aident à mieux comprendre comment s’y prendre.
«Je suis arrivé à la caisse de la boutique avec deux vestes dont le coût total représentait tout de même 828 fr. J’ai donc demandé un rabais, en évoquant à la fois le montant élevé et le fait que j’achetais deux produits du même genre. La vendeuse a appelé son chef. Il a proposé 770 fr. J’ai accepté», confie Jean, qui tente sa chance lorsque la somme lui paraît suffisamment importante pour justifier un geste. Bien mieux encore, pour des conditions d’assurance identiques sur un nouveau véhicule plus puissant, il a obtenu une baisse de 600 fr. par rapport à son ancien contrat. «J’ai simplement transmis l’offre d’une autre compagnie, obtenue en ligne, en disant à mon assureur de longue date que je resterais chez lui s'il applique le même tarif.»
➛ Plaisanter, ça aide
Alberto, un autre marchandeur, se met lui aussi à l’œuvre lorsque la marchandise ou le service coûte plusieurs centaines de francs. A ses yeux, il est important de rester agréable et de ne pas adopter une attitude agressive. Un avis partagé par Gabriel, notre troisième spécialiste: «Plaisanter, ça aide beaucoup. Il faut que la personne en face éprouve de la sympathie à votre égard. Cela favorise la discussion.»
➛ Préparer ses arguments
Il est toujours préférable de ne pas improviser et de préparer sa stratégie. On prendra soin de rester raisonnable et de ne pas demander l’impossible. Une bonne connaissance du produit désiré est utile pour appuyer sa position. Diverses stratégies sont possibles, comme invoquer un rabais de quantité, l’ancienneté du modèle, les prix pratiqués par la concurrence – y compris sur internet – avec preuves à l’appui. On peut aussi souligner les éventuels défauts connus du modèle, feindre l’hésitation, etc. Et plutôt que de négocier le prix, il est parfois judicieux de demander en cadeau l’un ou l’autre des accessoires.
➛ Se faire la main dans les brocantes
Certains habitués, comme Alberto, vont jusqu’à imaginer les contre-arguments du vendeur et préparent leurs réponses au préalable. Pour Gabriel, il est judicieux «de ne pas chiffrer d’emblée sa demande, mais d’attendre que le vendeur fasse une proposition pour entamer la négociation».
Notre interlocuteur estime que tout le monde peut marchander et rappelle qu’on ne perd rien à essayer. Pas toujours facile pourtant de se lancer. Le néophyte peut se faire la main dans des contextes favorables comme les brocantes.
De manière assez surprenante, la démarche devient vite grisante malgré les échecs. C’est ce qu’ont constaté certains de nos enquêteurs qui n’avaient jamais tenté l’expérience.