Grand Cru. Sous ses paillettes vaniteuses et rassurantes, cette mention connaît des définitions très inégales d’une appellation à l’autre. A Saint-Emilion, son cahier des charges est suffisamment large pour englober deux tiers du vignoble. Autant dire qu’elle n’est pas davantage un gage d’exclusivité que d’excellence. Il n’est donc pas étonnant que l’on trouve des Saint-Emilion Grand Cru à tous les prix possibles et imaginables. Ou presque.
Qualité qui se paie
La notion de «Grand Cru classé» est sensiblement plus sélective (lire encadré). Ce n’est donc pas un hasard si les trois seuls flacons qui en portaient la mention ont trusté les trois premières places du podium. La surprise? Le seul produit bio du lot, le Château Fonroque, a mis tout le monde d’accord. Avec 16.5 points, il a fait l’unanimité du jury. «C’est un excellent vin! Il est très expressif et généreux, tout en restant élégant en bouche», s’enthousiasme René
Roger.
Pour rester dans un registre accessible, les bouteilles retenues ne devaient pas dépasser
35 fr. l’unité. Si tel n’est pas toujours le cas, cette dégustation a montré que les mieux classées sont aussi les plus onéreuses du lot. Mais il serait hâtif de conclure qu’un tarif soutenu est synonyme de plaisir garanti: le Clos La Gaffelière (31.60 fr.), second vin du Château La Gaffelière, a globalement déçu avec des tanins «séchards» et un boisé trop prononcé.
Derrière l’incontestable vainqueur, le Clos des Jacobins a séduit les dégustateurs par son intensité: «On retrouve bien la typicité du merlot, avec un nez élégant et une belle concentration en bouche», note Thibaut Panas. L’explosivité du Château Grand Corbin-Despagne a, elle aussi, convaincu: «On a la finesse du nez et une belle complexité aromatique en bouche. C’est un vin harmonieux et plaisant», relève Arnaud Scalbert.
Millésimes difficiles
Ce qui distingue également les trois premiers, c’est une structure, des tanins et une acidité qui augurent un potentiel de garde plus élevé: jusqu’en 2022 au moins. La grande majorité des autres vins ne peuvent pas en espérer autant et sont plutôt à boire «sur le fruit», soit dans les deux ou trois ans. C’est le cas, par exemple, du Château Billeron Bouquey vendu 12 fr. seulement chez Lidl: «C’est un ensemble agréable, assez court, avec des tanins fondus. Mais on sent déjà de petites notes d’évolution indiquant qu’il ne faut pas tarder avant de le boire», illustre Claire Mallet.
Ce qu’il faut dire aussi, c’est que les deux millésimes retenus – 2012 et 2013 – ne resteront pas dans les annales du vignoble bordelais. C’est surtout vrai pour 2013, qui a été une année particulièrement difficile, un peu moins pour 2012. Paramètre qui joue un grand rôle dans le potentiel de garde des vins. Mais, comme le montre notre classement, le millésime ne doit pas être un facteur d’achat déterminant pour autant. Car, si 2012 a bel et bien été supérieur à 2013 sur Bordeaux, cela n’a pas empêché un cru 2013 de se classer deuxième… et deux flacons 2012 de terminer aux dernières places.
Yves-Noël Grin
Eclairage: Un classement unique
Voulue par Napoléon III, la classification officielle des vins de Bordeaux de 1855 n’englobe que les vignobles de la rive gauche de la Garonne. Parmi les grands oubliés de la rive droite, les appellations Pomerol et Saint-Emilion! C’est ainsi que le Syndicat viticole des vins de Saint-Emilion a mis en place son propre classement en 1955. Depuis cette date, il a été revu à six reprises: 1959, 1969, 1986, 1996, 2006 et 2012. Actuellement, quatre nectars seulement ont droit à la distinction la plus prestigieuse: «Premiers grands crus classés A»: Château Angélus, Château Ausone, Château Cheval Blanc et Château Pavie. Juste derrière, quatorze vins sont considérés comme «Premiers grands crus classés B». Et, enfin, la catégorie des «Grands crus classés» englobe 64 vins dont les trois qui ont terminé en tête de notre dégustation. La classification est établie en fonction de la note de dégustation et d’autres critères, comme la conduite de l’exploitation et le terroir.